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Culture de mort : Avortement

L’avortement, miroir de la crise de l’Occident

L’avortement, miroir de la crise de l’Occident

À 89 ans, le cardinal Camillo Ruini, discute avec Gaetano Quaglieriello, sénateur italien, professeur d’histoire contemporaine à la Libre université internationale des études sociales de Rome et président de la Fondation Magna Carta, dans un livre en vente depuis le 20 février en Italie. Voici trois passages traduits, dans lesquels le cardinal Ruini aborde la question de l’avortement volontaire.

1. Le courage de l’appeler “homicide”

Dans les cas qui concernent le début de la vie, la revendication de la liberté individuelle est hors de propos, parce que l’on décide non pas de soi-même mais bien d’un autre, l’enfant à naître, à moins de penser que cet enfant à naître ne fasse tout simplement partie du corps de la mère : une absurdité indéfendable puisqu’il dispose de son propre ADN, d’un développement spécifique et qu’il interagit avec la mère, comme cela apparaît toujours plus clairement.

L’alternative serait de penser que l’enfant à naître n’est pas un être humain mais ne pourrait le devenir qu’ensuite (après la naissance ou après la formation du système nerveux, ou après son implantation dans l’utérus…).  En réalité il s’agit toujours du même être qui évolue, comme il continue par ailleurs de le faire après la naissance.  Sa continuité est avérée, tout comme son caractère distinct de la mère.  Il ne s’agit donc jamais d’un « petit animal » d’espèce non humaine.  Le supprimer, depuis sa conception c’est-à-dire à partir de la fécondation de l’ovule, revient toujours à supprimer un être humain.  C’est pourquoi l’encyclique « Evangelium vitae » de Jean-Paul II n’hésite pas à parler d’homicide et met en garde contre les manipulations du langage qui dissimulent la réalité.  Il demande donc d’avoir le courage d’appeler les choses par leur nom : « avortement volontaire » et non par l’expression aseptisée « interruption de grossesse ».

2. Le non à l’avortement à la lumière de la seule raison

Y a-t-il un lien entre l’attaque contre la vie et la crise de l’Occident et de l’humanisme occidental ?  Je pense que oui et, afin d’en retrouver les relations, je me réfère à l’encyclique « Evangelium vitae ».  […]  Elle a été rédigée il y a vingt-cinq ans mais elle semble avoir été écrite aujourd’hui en substance, avec la seule différence qu’à présent, la situation s’est aggravée et que les risques dénoncés à l’époque se sont largement réalisés.

Dans le premier de ses quatre chapitres, « Evangelium vitae » met en évidence les menaces actuelles qui pèsent sur la vie humaine, des menaces que nous connaissons tous.  Elle ne se limite pourtant pas à décrire la situation mais elle en examine les causes.

La justification de base des atteintes contre la vie humaine est à rechercher dans la revendication des libertés individuelles : on connaît bien le slogan des années 1970 : « Mon utérus.  Mon choix ».  Aujourd’hui, toujours sur base de la liberté individuelle, on affirme le droit à la déclaration anticipée de fin de vie et ensuite au suicide assisté, une situation dans laquelle non seulement je décide mais où je contrains également les autres, y compris les médecins, à mon libre choix.  […]

Mais il y a une profonde contradiction à la base du mal-être et de la tristesse de notre époque, et donc de cette tendance à nous évader de nous-mêmes et à fuir la réalité.  D’une part, la revendication de la liberté et des droits individuels est grande, allant jusqu’à ériger cette liberté en critère absolu de nos choix.  D’autre part, le sujet est simplement conçu comme un fruit de l’évolution, une « parcelle de la nature » (Gaudium et spes, 14) qui comme tel ne peut être réellement ni intérieurement libre et responsable et qui ne peut revendiquer aucune centralité ni aucun droit face à la nature qui l’ignore et qui ne se préoccupe pas de lui.  Cette contradiction explose de façon dramatique dans des cas comme la mort d’un jeune ou la maladie invalidante, qui semblent privés de sens et totalement inacceptables.

« Evangelium vitae » fait un pas en avant majeur pour sortir de cette contradiction.  Pour que la revendication de notre liberté puisse véritablement avoir un sens, il n’est pas nécessaire que Dieu n’existe pas – comme le pense une grande partie de la pensée moderne – mais au contraire que Dieu existe.

En effet, ce n’est que si à l’origine de notre existence il n’y a pas seulement une nature ignorante mais avant tout et surtout une liberté créatrice, que nous pouvons être réellement et intérieurement libres.  Et c’est cette grande intuition de Kant, ensuite reprise par Schelling, que l’encyclique propose dans sa propre optique.  […]  Quand nous réfléchissons sur ce qui rend possible qu’une vie humaine soit réellement libre et ait vraiment un sens, nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas nous passer de Dieu.  Et pas d’un Dieu quelconque mais de notre Dieu créateur, auteur et fondement de notre vie et de notre liberté.

C’est pourquoi la prétention que nous avons de nous croire les maîtres de la vie et de la mort, la nôtre et même celle des autres, est erronée pour plusieurs raisons.  Avant tout parce que la liberté n’est pas quelque chose d’isolé et d’absolu mais qu’elle ne peut exister qu’en relation avec la réalité, c’est-à-dire aux autres et à l’environnement dans lequel nous vivons.  Deuxièmement parce que notre vie et notre liberté viennent de Dieu et qu’elles sont intrinsèquement en rapport avec Lui, elles sont liées à Lui et en fin de compte elles dépendent de Lui.

Il est donc illusoire de les considérer comme quelque chose qui n’appartiendrait qu’à nous et dont nous n’avons de compte à rendre à personne : nous devons en répondre devant la réalité que nous sommes, devant la société à laquelle nous appartenons et en fin de compte devant Dieu notre créateur.

Dans le débat public, on ne parle jamais de ce rapport avec Dieu pour éviter l’accusation de défendre la vie pour des raisons religieuses, et il est bon de procéder ainsi.  À l’inverse, dans une démarche d’approfondissement, il me semble important de faire référence à cet aspect qui met en lumière les racines mêmes de notre liberté.  Celui qui défend la vie sans être croyant peut naturellement ne pas être d’accord : la défense de la vie est certainement possible même en faisant abstraction du rapport avec Dieu.

3. Un « tu ne tueras pas » qui vaut encore plus pour les catholiques

Il faut reproposer l’enseignement d’« Evangelium vitae » avec des arguments rationnels, comme le recommande l’encyclique elle-même, qui s’adresse à tous et qui attire l’attention et la sympathie de tous pour la défense de la vie, sans craindre l’impopularité et sans s’abaisser à des compromis.  Mais cette même encyclique s’adresse en premier lieu aux catholiques, à commencer par les évêques, en proposant une vérité qui est valable pour tous mais encore plus particulièrement pour les croyants.

En la publiant, Jean-Paul II voulait poser un acte de la plus haute valeur doctrinale, qui soit le plus contraignant possible pour les croyants.  Et il s’agit en effet du document de son pontificat dans lequel il a le plus engagé son magistère, en affirmant que le commandement « Tu ne tueras point » a une valeur absolue quand il se réfère à des personnes innocentes.  Cette précision, « innocentes », est importante par rapport à la problématique de la légitime défense, qui peut légitimement mener jusqu’à l’homicide de l’agresseur injuste ainsi que pour la question de la peine de mort, que l’Église exclut aujourd’hui étant donné qu’il est possible de protéger la vie en société sans y recourir, mais qu’elle n’a pas toujours exclu par le passé.

Selon « Evangelium vitae », cette « inviolabilité absolue de la vie humaine innocente est une vérité morale explicitement enseignée par les Saintes Écritures, constamment retenue par la tradition de l’Église et unanimement proposée par son magistère ».  Elle est le fruit du sens surnaturel de la foi, suscité et soutenu par l’Esprit Saint, qui « garantit le peuple de Dieu de l’erreur, lorsqu’elle « apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel ».  « Par conséquent, avec l’autorité conférée par le Christ à Pierre et à ses Successeurs, en communion avec tous les évêques de l’Eglise catholique, je confirme que tuer directement et volontairement un être humain innocent est toujours gravement immoral. » (n° 57).  Cette formule solennelle exprime une déclaration infaillible et définitive.  […]  Le Pape utilise le mot « je confirme » – et non « je déclare » – pour souligner qu’il s’agit d’une vérité qui appartenait déjà au patrimoine de la foi catholique.  […]

Malheureusement, de nombreux catholiques, même pratiquants, semblent encore ignorer cela : ils soutiennent en fait et ils mettent même en pratique en matière d’avortement des positions incompatibles avec la foi qu’ils professent.  […]

Nous pouvons également nous intéresser à ce que nous pouvons qualifier de tournant intra-ecclésial de cette intervention : dans l’encyclique « Veritatis splendor » sortie deux ans plus tôt, le pape avait affirmé qu’il existait des vérités d’ordre moral contenues dans la révélation divine et que le magistère de l’Église pouvait les définir de manière infaillible.  Plusieurs théologiens catholiques, d’avis contraire, avaient objecté qu’il n’y avait dans les faits aucune vérité morale sur lequel le magistère soit intervenu de manière infaillible.  La prise de position non-réformable de l’encyclique « Evangelium vitae » concernant l’inviolabilité de la vie humaine innocente et en particulier sur l’avortement répond de manière très concrète à ce genre d’objection.

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