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France : Politique en France

L’affaire franco-australienne illustre les difficultés d’une véritable coopération avec le monde anglo-saxon

L’affaire franco-australienne illustre  les difficultés d’une véritable coopération avec le monde anglo-saxon

Dans Présent, Bruno Gollnisch, qui fut capitaine de frégate, décrypte la crise liée à l’annulation par l’Australie du contrat portant sur 12 sous-marins. Extrait :

[…] Le terme sous-marins nucléaires est ambigu pour le grand public. Il désigne indifféremment des sous-marins dont non seulement la propulsion mais aussi l’armement sont nucléaires, d’un tonnage vingt fois plus important que ceux de la Deuxième Guerre mondiale, équivalant à celui des anciens croiseurs, et que nous désignons en France sous le terme de SNLE : Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins. Les engins en question étant seize immenses fusées intercontinentales pourvues d’ogives nucléaires capables de dévaster le monde.

Ici en revanche il s’agit de sous-marins à propulsion nucléaire, mais dont l’armement demeure classique (torpilles, missiles mer-mer, etc.), que nous appelons SNA : Sous-marin Nucléaire d’Attaque. Leur autonomie est très supérieure à celle des sous-marins classiques, mus par des moteurs diesel alimentant des batteries électriques. Encore que les sous-marins français dont la vente vient d’être annulée, de la classe « Attack », dérivée de nos « Barracuda », étaient capables de performances remarquables, utilisant des piles à combustible, et emportant un armement redoutable, capable de frapper sous la mer, sur terre et même dans les airs.

Sur nos sous-marins à propulsion nucléaire, le carburant nucléaire ne doit être rechargé qu’une fois tous les dix ans. En raison d’un uranium hautement enrichi, ce délai serait encore plus important pour les SNA américains que l’Australie prévoit désormais d’acheter. Elle n’est cependant pas au bout de ses peines, car elle n’est pas à ce jour équipée pour la maintenance de tel matériel, ne disposant pas d’industrie atomique. Le plus long dans ce domaine n’étant pas le transfert de matériel ou de technologie, mais bien la formation des personnels.

Les grands sous-marins sont essentiels pour les marines d’aujourd’hui, car, même si la détection sous-marine (par ondes sonores, magnétisme, etc.) a fait des progrès considérables, le sous-marin en profondeur reste difficile à détecter.

On en a eu un exemple lors de la guerre des Malouines, ou l’envoi de SNA par la marine britannique, a suffi pratiquement à clouer au port la marine d’Argentine, après la destruction du croiseur cuirassé Belgrano.

Peut-être même le sous-marin est-il aujourd’hui le nouveau « Capital ship », fleuron des armes navales, comme le cuirassé jusqu’à la Première Guerre mondiale, ou le porte-avions en cours de la Seconde. C’est qu’en effet à l’heure actuelle, les navires de surface sont de plus en plus détectables par des constellations de satellites : une opération surprise comme celle de l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais en 1941 serait aujourd’hui presque impossible, même si des techniques de leurre et d’armes à énergie dirigée pour neutraliser les satellites se développent en parallèle.

Solidarités anglo-saxonnes

Cette affaire franco-australienne illustre, s’il en était besoin, le fait que les Etats obéissent avant tout à leurs propres intérêts, et aussi les difficultés d’une véritable coopération sur un pied d’égalité avec le monde anglo-saxon, qui reste régi par des solidarités profondes et exclusives.

Elles sortent encore renforcées par le Brexit. De Gaulle avait refusé l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, percevant que celle-ci préférerait toujours ses relations privilégiées avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande au respect de la préférence communautaire. La sortie de l’Union européenne a définitivement désinhibé la Grande-Bretagne, qui se tourne résolument vers ses anciennes colonies et vers les Etats-Unis.

Il y a plusieurs années, une tentative similaire de concevoir et de fabriquer en commun deux porte-avions entre Londres et Paris n’avait abouti, après d’innombrables palinodies (dont plusieurs de notre fait), qu’à des études restées sans lendemain, et à l’enterrement du nécessaire projet de deuxième porte-avions. En février 2014, la Cour des comptes en avait chiffré le désastre financier à « plus de 200 millions d’euros […], sans véritable contrepartie pour la France ». Cela aurait dû servir de leçon…

Mieux vaudrait à l’avenir nous tourner plutôt vers la coopération avec des pays de langue et de culture latines tels que l’Italie (en dépit des difficultés du programme de Frégates multi-missions), l’Espagne, le Portugal, ou les pays hispanophones ou lusophones du continent américain.

Alliance

En termes de géopolitique, cette affaire traduit aussi le renforcement de l’alliance entre les USA, la Grande-Bretagne et l’Australie dans une nouvelle politique de « containment » face à la Chine, alliance baptisée « AUKUS ». Pékin ne s’y est pas trompé, et traite l’Australie de façon injurieuse.

Nous verrons si le mécontentement français dure suffisamment pour que les Etats-Unis regrettent d’avoir sacrifié l’alliance avec notre pays à leur nouvelle stratégie et aux intérêts de leur industrie. Le prochain sommet de l’OTAN à Madrid sera peut-être l’occasion de mettre les choses au point.

Présence dans le Pacifique

Nous ne manquons pas d’atouts dans le Pacifique, où nous n’avons guère d’intérêt à l’affrontement avec la Chine, ainsi que je l’ai déjà écrit ici. Les revendications de Pékin sur les îlots et le plateau continental de la mer de Chine peuvent inquiéter l’Indonésie, la Malaisie, Bahrein, le Vietnam, le Japon, les Philippines ; elles ne menacent pas directement notre immense domaine maritime, organisé principalement autour de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française, et accessoirement de l’île de Clipperton, sans parler de nos possessions dans les mers australes. Cependant l’attitude chinoise fragilise la convention de Montego Bay, qui nous octroie le deuxième domaine économique mondial, et inspire d’autres puissances plus près de nous, en Méditerranée orientale ou dans le grand Nord.

Il reste que, si nous voulons y être pris au sérieux, il faudrait y disposer d’un matériel plus important que quelques frégates de surveillance et autres bâtiments, certes performants, mais légers. Et aussi cesser de s’obstiner à demander à un corps électoral artificiellement restreint en Nouvelle-Calédonie de revoter pour l’indépendance, après chaque référendum ayant manifesté le désir de la majorité de rester française.

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5 commentaires

  1. Bravo Bruno, ça c’est de l’analyse politique. Dommage que vos ennuis de santé vous aient écarté de hautes fonctions à droite. La France a malgré tout fait de bonnes choses avec les anglais, dans le domaine de l’aéronautique. Il y a aussi les allemands, bien entendu. Et sans doute aussi les russes. Faut-il rappeler que Hollande leur avait joué un tour semblable à celui des sous-marins australiens en ne leur livrant pas des navires de guerre (porte-hélicoptères ?) pourtant terminés. Et cela pour des raisons stupides de type droit de l’homme. M Stoltenberg tient à garder son job à la tête de l’Otan, mais le temps n’est-il pas venu de tourner définitivement la page de la guerre froide et d’arrêter de braquer des fusées sur Moscou ? On devrait pouvoir rassurer l’Ukraine et les Pays Baltes.

  2. Depuis que l Etat français a trahi sa parole et réduit sa crédibilité contractuelle à néant en rompant ses engagements de livraison de Mistral, nous n avons malheureusement plus rien à dire.
    Il est grand temps que l’ère des présidents fainéants ; ouverte avec de Gaulle qui par paresse et avidité a abandonné ceux qui comptaient sur nous à une fin horrible ; soit refermée. L’heritage et le crédit transmis par nos ancêtres se réduisent chaque année un peu plus.
    Et ce n’est clairement pas une victime du syndrome de Stockholm doublée d’un pervers narcissique inculte qui nous en sortira.

    • Cher Meunier, votre coup de patte sur De Gaulle me semble gratuit. Pourquoi a-t-il fait ce que vous sous-entendez sans une nécessité salutaire que vous semblez ignorer ? N’y avait-il pas des enjeux supérieurs et des contraintes financières qui le poussaient à cette décision tragique et salutaire par ailleurs. La tragédie classique repose sur un dilemme cornélien. Ce que vous appelez ‘président fainéant’ ne peut-il pas se voir comme ‘très courageux’ ? Coupez le bras droit pour sauver tout le corps ? Regardez du côté des financements américains qui se tarissaient, du côté de la bombe atomique, du Colombey les deux mosquées et vous pourrez poser un jugement plus nuancé sur cette période mondialement décolonialiste. Et posez-vous la question : Les USA ont-ils gagné une guerre depuis 1945 ? La base solide du FLN était l’islam et dans une moindre mesure le marxisme des copains de madame Halimi. Situation intenable, comme le sont nos banlieues perdues par la police et gagnées par les mahométans. Bernard Lugan pense que les colonies nous ont couté trop chers.

  3. Il faudra nous expliquer alors comment les allemands, économie forte qui commerce avec « l’ennemi chinois », obtinrent le gazoduc Nord Stream germano-russe avec la bénédiction de Biden des USA. Fort avec les faibles, conciliant avec les forts. Le camouflet français n’est peut-être qu’une gesticulation française pour obtenir des contreparties de bienséances. En effet selon sources à préciser, employés de Naval Group, estiment la rentabilité de cette affaire à -12%, soit 6 milliards de pertes. Peine perdue, pertes épargnées.

  4. Bruno Gollnisch s’exprime en politique doublé d’un technicien. Bravo.
    Il est marié avec une Japonaise, ce qui donne à penser qu’il connaît le Pacifique.
    Nous assistons apparemment à un échec de la diplomatie française. Est-ce vraiment le cas ?
    Ce contrat dit mirifique n’en était peut-être pas un.
    Ces sous-marins auraient été construits en Australie sur un ou des chantiers qui restaient à créer. Problème.
    L’Australie les aurait-elle réellement payés ? Pas sûr. Ou en monnaie de singe ?
    Pourquoi la France vendrait-elle à l’Australie des navires destinés à la narguer dans le Pacifique ?

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