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L'Eglise : L'Eglise en France

La Royauté du Christ oblige l’Eglise à intervenir dans le débat public

Voici l'homélie de Mgr Centène, évêque de Vannes, prononcée hier, lors du pèlerinage ou du
« Pardon » des élus en la basilique de Sainte-Anne d’Auray :


C"
Nous
célébrons aujourd’hui la fête du Christ-Roi, un Roi qui se présente à nous ce
matin sous les traits d’un accusé devant son juge. Sous les traits d’un
condamné qui sera exécuté dans quelques heures, car la question posée par
Pilate - « Qu’est-ce que la
vérité ?
 » – restera pour lui sans réponse.

Pourtant,
la Royauté du Christ que nous célébrons aujourd’hui n’est ni le reliquat du
triomphalisme supposé de l’Eglise d’antan, ni le confinement de la souveraineté
divine dans l’enceinte de nos cœurs ou de nos églises de pierres. La Royauté du
Christ est un fait total, plénier, universel.
Vrai
Dieu, le Christ est maître de toute chose. Vrai homme, c’est de son Père  qu’il reçoit – en tant qu’homme – « domination, gloire et royauté[1] ». La
Royauté du Christ a donc son fondement dans sa divinité : c’est son « droit de naissance ». Mais c’est
aussi en tant qu’homme que nous appelons le Christ notre Roi[2]. Jusqu’à son
avènement dans le monde, la Royauté de Dieu, bien que réelle, était entravée
par la rébellion de l’homme. Par son incarnation, sa mort et sa Résurrection,
le Christ déploie pleinement cette royauté en réconciliant l’homme avec
Dieu : c’est son « droit de
conquête
 ». Une conquête qui ne se réalise pas par l’écrasement de ses
ennemis défaits mais par le service de ceux qu’il est venu sauver. Service
d’amour qui le pousse à donner sa vie pour ceux qu’il aime. « Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être
servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude
[3]. »

Cette
réconciliation par l’amour qui se donne, qui s’immole, qui se sacrifie, est une
réconciliation totale parce qu’elle est intime : par son Incarnation, le
Christ a uni l’humanité à sa personne. Par son Ascension, il a élevé cette
humanité, notre humanité, jusqu’à la gloire divine.

C’est
pour cette raison que nos frères orthodoxes célèbrent encore le Christ-Roi au
jour de l’Ascension, jour de réconciliation et de communion parfaites de
l’humanité et de la divinité, source d’ordre et donc de paix. Les hommes, en
voyant le Christ – l’Homme parfait - 
monter sur le trône divin, connaissent désormais leur avenir, leur
dignité insoupçonnée : participer à la divinité de celui qui a pris notre
humanité. Et régner avec Lui.

C’est
donc en s’ouvrant au monde que Dieu veut élever l’homme pour peu que l’homme écoute
sa voix. « Quiconque est de la vérité
écoute ma voix
[4]. »

De
la même manière, l’Eglise – Corps mystique du Christ – s’ouvre au monde pour
transmettre à tous l’invitation inimaginable du Christ : « Dieu s’est fait homme pour que
l’homme devienne Dieu
[5]. » La
Royauté du Christ se déploie donc dans deux lignes : la ligne du service
et la ligne de la Vérité : « Je
suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la Vérité. Quiconque est de la
Vérité écoute ma voix
[6]. »

En
s’ouvrant à nous, Dieu nous révèle la vérité, une vérité qui libère :
« La vérité vous rendra libre[7] »
nous dit le Christ. Oui, la vérité rend libre ! La connaissance et le
choix du vrai déploient toutes les virtualités et les potentialités du réel.
Les scientifiques le savent bien, qui approfondissent chaque jour les mystères de
l’infiniment grand et de l’infiniment petit, en vue du progrès et du
développement humain. Vous le voyez, notre capacité de choisir est certes la
condition nécessaire de notre liberté mais elle ne nous libère que lorsqu’elle
choisit le vrai, le beau, le bien. Le Concile Vatican II – dont nous fêtons
cette année les 50 ans – nous le rappelle : « Notre époque a besoin d’une […] sagesse, pour humaniser ses propres
découvertes, quelles qu’elles soient
[8]. »

Cette
connexion intime entre vérité et épanouissement de la liberté est valable dans
tous les domaines : scientifiques, anthropologiques, politiques, psychologiques,
philosophiques, spirituels. Or, la vérité que le Christ nous a transmise
n’intéresse pas seulement le domaine propre de la foi. Elle vient aussi
confirmer et corriger la connaissance que l’homme acquiert du monde et de
lui-même par ses propres forces, péniblement, lentement et rarement sans erreur[9]. A la
suite du Christ, le Concile réaffirme et défend la vérité de l’homme, conscient
qu’il était de son éminente dignité : « L’Église
qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière
avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique, est à la
fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine
[10]. » Sur
cette terre, le seul souci de l’Eglise est le bien de l’homme, de tout l’homme
et de tous les hommes, de leur conception à leur mort naturelle.

Ce
souci de l’Eglise passe donc nécessairement par une attention discrète mais
vigilante au destin de la Cité terrestre. C’est le noble sens du mot politique.
Car « pour instaurer une vie
politique vraiment humaine, rien n’est plus important que de développer […] le
dévouement au bien commun
[11]. »

C’est
pourquoi l’Eglise peut et doit intervenir dans le débat public lorsque cette
identité de l’homme est remise en question. Et dans cet exercice, son but est
toujours de remettre l’homme et sa vérité au cœur des décisions, qu’elles
soient politiques, économiques ou sociétales.
Comment
ce devoir – que l’Eglise doit exercer jusqu’au martyr – est-il compatible avec
le principe désormais communément admis de la laïcité, qui a été ce matin l’objet
de la réflexion de nos élus avec le père Rivallain?

La
constitution conciliaire Gaudium et Spes
nous encourage à marcher ensemble -Eglise et Etat – dans le respect des
particularités de chacun mais toujours dans le même sens : « Sur le terrain qui leur est propre,
la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et
autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la
vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d’autant
plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront
davantage entre elles une saine coopération, en tenant également compte des
circonstances de temps et de lieu. L’homme, en effet, n’est pas limité aux
seuls horizons terrestres, mais, vivant dans l’histoire humaine, il conserve
intégralement sa vocation éternelle
[12]. »

Voilà
ce qu’est vraiment l’authentique laïcité, qu’on la qualifie de « saine[13] »,
de « positive » ou encore
d’ « ouverte[14] ».

Le
Pape Benoît XVI nous disait en 2008 à l’occasion de son voyage en France: « En ce moment historique où les cultures
s’entrecroisent de plus en plus, je suis profondément convaincu qu’une nouvelle
réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenue
nécessaire. Il est en effet fondamental, d’une part, d’insister sur la
distinction entre le politique et le religieux, afin de garantir aussi bien la
liberté religieuse des citoyens que la responsabilité de l’État envers eux, et
d’autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction
irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la
contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création d’un
consensus éthique fondamental dans la société
[15]. »

Déjà
sérieusement mis à mal en différents domaines, ce consensus éthique que Benoît
XVI appelle de ses vœux est sans doute à la veille d’une nouvelle fracture. Face
au projet de loi sur un hypothétique « mariage » homosexuel, notre
responsabilité de pasteur nous oblige à réaffirmer haut et fort la vérité
universelle inscrite au cœur de la nature humaine et mise en pleine lumière par
le Christ pour écarter les ombres du mensonge.

Avec
les Pères conciliaires qui nous précédèrent, nous réaffirmons cette vérité
fondamentale que tout honnête homme peut traduire dans sa
philosophie : « Dieu n’a
pas créé l’homme solitaire : dès l’origine,
« il les créa homme et femme » (Gn
1, 27). Cette société de l’homme et de la femme est l’expression première de la
communion des personnes. Car l’homme, de par sa nature profonde, est un être
social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses
qualités
[16]. »

Certes,
l’Eglise restera toujours pleine de sollicitude pour les personnes homosexuelles,
comme elle l’est pour l’ensemble des hommes, tous marqués par le désordre
originaire. Mais l’Eglise se doit aussi de promouvoir le bien commun des
sociétés, un bien commun fondé sur la vérité de l’homme, au seul service de sa
liberté et de  son épanouissement.

En
effet, le mariage n’est pas un pur concept inventé de toute pièce où l’on
aurait inclus un jour les couples hétérosexuels et dans lequel nous pourrions aujourd’hui
ajouter les couples homosexuels. Le mariage n’est pas d’abord la reconnaissance
publique des sentiments, ni un contrat dont les termes seraient aléatoires. Le
mariage est d’abord et avant tout une réalité, un fait de nature : l’union
d’un homme et d’une femme en vue de la procréation et de l’éducation de leurs
enfants. Des enfants pour qui le lien de filiation est essentiel dans la
construction psychologique de leur identité. Le concept de mariage ne vient
qu’après tout cela : il décrit cette réalité. Et s’il bénéficie de la
faveur du droit, c’est parce qu’il est ordonné au bien commun de la société et
de l’espèce humaine. Inclure une autre réalité dans la notion de mariage
détruirait son sens et sa valeur. Ce serait un mensonge de plus à l’endroit des
personnes homophiles en quête de bonheur. Car la réalité concrète du mariage,
elle, ne change pas. Légiférer sur un mensonge – et à l’encontre du bien commun
– rendrait en outre périlleux l’exercice d’une laïcité apaisée et mutuellement
enrichissante.

Comment
l’Eglise et l’Etat s’entendraient-ils sur une réalité aussi essentielle que le
mariage, qui assure la vie et la prospérité de la Cité par la procréation des
générations futures, l’éducation et surtout l’équilibre humain de nos
enfants ?

Chers
élus et représentants, votre rôle est absolument essentiel au sein de la
société. Au-delà des divergences d’appréciations et des querelles de parti,
l’heure doit être à la réflexion sincère sur l’identité de l’homme et l’avenir
de notre société.
Une réflexion qui doit laisser toute sa place au rôle
irremplaçable et imprescriptible de la conscience. Les mots d’ordre partisans
ne peuvent ni la supprimer ni l’obscurcir. Platon avait souhaité que les
philosophes soient législateurs[17]. J’en
appelle à l’idée que vous vous faites de votre mission.

Que
serait une société dans laquelle seules les personnes privées de conscience
pourraient briguer un mandat électoral ? Une société où des hommes sans
conscience seraient représentés par des élus sans conscience qui feraient des
lois dans lesquelles la conscience ne serait jamais consultée ?

En
cette fête du Christ-Roi, confions l’avenir de notre pays à la miséricorde de
Dieu. Confions ses élus à sa lumière.

Amen."


[1]
Dn 7, 14.

[2]
Pie XI, enc. Quas Primas, n°5.

[3]
Mt 20,28.

[4]
Jn 18,37.

[5]
S. Ath. D’ALEXANDRIE, L’Incarnation,
54, 3.

[6]
Jn 18,37.

[7]
Jn 8,32.

[8]
PAUL VI et les PÈRES DU SAINT CONCILE,
Gaudium et Spes
(désormais GS), n°15.

[9]
Cf. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique,
Ia , Q1, a1, resp.

[10] GS, 76.2.

[11] GS, 73.5.

[12] GS, 76.3.

[13] BENOÎT XVI, Exhortation apostolique
post-synodale Ecclesia in Medio Oriente,
 Beyrouth, Liban, 14 septembre 2012,
n°29.

[14]
N. SARKOZY, Discours au Palais du Latran,
20 décembre 2007.

[15]
BENOÎT XVI, Discours, Paris, Palais
de l’Elysée, 12 septembre 2008.

[16]
GS, 12.4.

[17]
PLATON, La République, livre V.

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