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Culture : cinéma

La Favorite de Yorgos Lanthimos : Jeux pervers de pouvoir

La Favorite de Yorgos Lanthimos : Jeux pervers de pouvoir

Critique de Bruno de Seguins Pazzis :

Début du XVIIIème siècle. L’Angleterre et la France sont en guerre. Toutefois, à la cour d’Angleterre, la mode est aux courses de canards et à la dégustation d’ananas. La reine Anne, à la santé fragile et au caractère instable, occupe le trône tandis que son amie Sarah gouverne le pays à sa place. Lorsqu’une nouvelle servante, Abigail arrive à la cour, Sarah la prend sous son aile, pensant qu’elle pourrait être une alliée. Abigail va y voir l’opportunité de renouer avec ses racines aristocratiques. Alors que les enjeux politiques de la guerre absorbent Sarah, Abigail quant à elle parvient à gagner la confiance de la reine et devient sa nouvelle confidente. Cette amitié naissante donne à la jeune femme l’occasion de satisfaire ses ambitions, et elle ne laissera ni homme, ni femme, ni politique, ni même un lapin se mettre en travers de son chemin…

Avec : Olivia Colman (La Reine Anne d’Angleterre), Emma Stone (Abigail Masham), Rachel Weisz (Sarah Churchill), Nicholas Hoult (Robert Harley), Joe Alwyn (Samuel Masham), Mark Gatiss (John Churchill), James Smith (Sidney Godolphin), Liam Flemming (Kévin), Jenny Rainsford (Mae). Scénario : Deborah Davi et Tony McNamara. Directeur de la photographie : Robbie Ryan. Musique : Komeil S. Hosseini.

Récompenses : Grand prix du Jury et Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine pour Olivia Colman à la Mostra de Venise (2018), Prix spécial du jury au Festival international du film de La Roche-sur-Yon (2018), Meilleure actrice dans un film musical ou une comédie pour Olivia Colman aux Golden Globes (2019), Meilleure distribution aux Critics’ Choice Movie Awards (2019), British Academy Film Award du meilleur film britannique, British Academy Film Award de la meilleure actrice pour Olivia Colman, British Academy Film Award de la meilleure actrice dans un second rôle pour Rachel Weisz et British Academy Film Award du meilleur scénario original, British Academy Film Award des meilleurs décors, British Academy Film Award des meilleurs costumes et British Academy Film Award des meilleurs maquillages et coiffures aux BAFA (2019).

Jeux pervers de pouvoir… Les scénaristes Denorah Davi et Tony McNamara se saisissent d’une partie du règne d’Anne Stuart (1702-1714) et concentre les décisions du royaume dans une intrigue qui se joue entre trois femmes aux caractères trempés, Anne la reine, Sarah Churchill, l’épouse du duc de Marlborough qui exerce une influence très importante sur la reine et Abigail Hill qui deviendra confidente de la Reine et sera jalousée par Sarah. Du scénario, il ressort que toutes les affaires du royaume passaient au tamis de ce trio qu’il présente comme un sac de vipères. Le scénario invente beaucoup de situation (par exemple l’empoisonnement de Sarah Churchill par Abigail et sa convalescence dans une maison close, les 17 lapins de la reine qu’elle élève en souvenir de ses 17 enfants morts…), extrapole des points historiques, en occulte certains et en accentue d’autres pour arriver au but : présenter un pouvoir totalement corrompu au travers de la description de mœurs dépravées et cruelles, insistant sans aucune finesse sur des relations saphiques entre la reine et ses favorites.

S’il est exact que Sarah Churchill eut une influence considérable sur la reine, lui conseillant régulièrement de nommer des whigs pour réduite le pouvoir des tories, si il est également vrai qu’une rivalité exista entre Sarah et Abigail qui devint Madame Masham par une faveur de la reine et que Sarah en nourrit de la jalousie, nos scénaristes en rajoute largement trop, usant de la louche là où l’art eu consisté à manipuler un tel sujet à la petite cuillère. Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos qui se complet dans les excès (The Lobster en 2015, Mise à mort du cerf sacré en 2017) s’empare de ce matériel, s’en donne à cœur joie et au lieu de l’affiner pour en faire une œuvre subtile, comme ses contemporains aussi virtuoses que lui, Alfonso Cuaron (Les fils de l’homme en 2006, Gravity en 2013) ou Alejandro Gonzalez Inarritu (Biutiful en 2010, Birdman en 2014, The Revenant en 2015), il tord un sujet intéressant et sérieux (de surcroît ici historique), l’enferme et l’étouffe dans un maniérisme esthétique de nature égotique. Très vite il impose sa patte, une image très soignée, l’utilisation d’objectifs « grand angle », des effets «Oeil de poisson », de longs mouvements de caméra, parfois rapides. Par-dessus tout ceci, une bande originale à laquelle il faut reconnaître une grande qualité et une certaine originalité puisque mélangeant par moment de la musique baroque avec de la musique contemporaine de type sérielle ou de type minimaliste et répétitive. Parallèlement à ce débordement d’esthétisme, le propos finit par se perdre dans des longueurs, quelques répétitions, un humour provocateur et un final abscons qui illustrent la minceur générale du propos que tente de dissimuler un découpage artificiel et inutile en huit chapitres aux titres qui se veulent intrigants et qui ne présentent qu’un mince rapport avec leurs contenus (exemple : chapitre 1 « Cette boue qui pue », ou Chapitre 8 « J’ai rêvai »). Au spectateur il ne reste donc plus que des images raffinées (hormis celles d’une complaisance toute contemporaine pour l’hédonisme, ici peu ragoutant), de beaux costumes, une agréable musique et le plaisir du jeu de ces trois comédiennes parmi lesquelles il finit par être bien difficile de distinguer laquelle est la meilleure ! Olivia Colman (La Reine Elizabeth dans Week-end royal de Roger Michell en 2012, The Lobster de Yorgos Lanthimos en 2015, Le Crime de l’Orient-Express de Kenneth Branagh en 2017), à la fois imposante et fragile en reine d’Angleterre, nous livre probablement sa meilleure prestation, du moins pour le moment. Emma Stone (Magic in the Moonlight en 2014 et L’homme irrationnel en 2015 de Woody Allen) est remarquable en jeune ingénue moins naïve qu’il n’y paraît… Enfin, Rachel Weisz (The Constant Gardener de Fernando Meirelles en 2005, Agora d’Alejandro Amenabar en 2009, Youth de Paolo Sorrentino en 2015), d’une beauté froide et rageuse, donne une impression d’omniprésence à l’écran tant elle incarne la défense des intérêts et des prérogatives de son personnage. Mais c’est peu pour justifier un Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise. Baroque et sophistiqué à souhait, mais finalement muet.

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