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L'Eglise : François

La communion ne se décrète pas

La communion ne se décrète pas

Quelques réflexions de Paix Liturgique sur la dernière lettre apostolique du pape :

« Abandonnons nos polémiques pour écouter ensemble ce que l’Esprit dit à l’Église, sauvegardons notre communion » : ces mots de la conclusion de Desiderio desideravi (n. 61) sont en fait la principale – et vaine – préoccupation de cette Lettre, comme d’ailleurs du pontificat : refaire, on pourrait dire replâtrer, une communion brisée dans le peuple chrétien, brisure dont témoigne la guerre liturgique.

De simples réflexions…

Ce long texte se présente comme une sorte de méditation (n. 31), le souverain pontife précisant dès le premier article qu’il souhaite « partager des réflexions »,. Il répète cette intention vers la fin du texte au n° 61 : « j’ai voulu simplement partager quelques réflexions ». Ce n’est donc absolument pas un texte à portée juridique et normative. Pour autant la volonté de réduire tout le monde à la liturgie nouvelle est claire, de manière plus enveloppée, plus positive, que dans Traditionis custodes, texte dont il est cependant rappelé qu’il demeure pour le moment celui de référence.

Le principal rédacteur du texte est à l’évidence un professeur de l’université romaine Saint-Anselme consacrée à l’enseignement de la liturgie, ou bien un membre de la Congrégation pour le Culte divin, ce qui revient au même, car les cadres de la Congrégation sont désormais issus de Saint-Anselme, et forment, avec d’autres clercs italiens de même profil, un unique creuset d’activistes intellectuels.

Ça et là cependant jaillissent des jugements autoritaires et péremptoires dans un style très pape François, auquel le ou les rédacteurs se sont conformés, selon ce qui est de règle chez les « nègres » qui préparent des discours ou textes de hauts responsables, ou bien qui ont été rajoutés par le pape François lui-même : sont ainsi pourfendus pêle-mêle la mondanité spirituelle, l’élitisme narcissique et autoritaire qui classe et contrôle les autres, l’autoréférentialité, le néo-pélagianisme qui nous enivre de présomption, le moralisme ascétique, la formalité extérieure et les scrupuleuses observances…

Au total, a été confectionné un long pavé à la fois moderne et jargonneux, comme ses longues introductions aux cours de liturgie ou de théologie sacramentaire qu’on sert à Saint-Anselme ou dans les séminaires italiens, dont les thèmes – beauté et richesse retrouvées de la liturgie ; émerveillement ; ars celebrandi ; formation nécessaire ; etc. – sont repris par les chroniqueurs progressistes zélés ou par les conservateurs qui veulent faire du zèle à peu de frais.

Il est vrai qu’un certain nombre de réflexions sont assez traditionnelles. Le cardinal Sarah aurait pu les signer. La Lettre rejette l’idée, sans trop approfondir, que la messe serait un simple mémorial. Elle explique que la liturgie n’est pas le résultat d’une recherche personnelle. Que la liturgie est d’abord une louange, qu’elle rend gloire à Dieu. Le pape insiste sur l’importance du silence liturgique (mais un silence moderne qui n’est pas le silence liturgique, simple pause méditative au cours du rituel, ce qui est bien différent). Il constate la grande difficulté de l’homme moderne à saisir les symboles. Il rappelle que les normes rituelles sont au service de réalités supérieures et que l’art de la célébration ne s’improvise pas. Il met en garde les prêtres afin qu’ils ne « détournent pas l’attention de la centralité de l’autel ». Il rappelle enfin cette profonde vérité que la liturgie est la première source de la spiritualité chrétienne.

Une seconde lecture plus attentive laisse entrevoir des idées problématiques, en particulier en ce qui concerne la nature du sacerdoce et du renouvellement sacrificiel, de l’importance et du rôle de l’assemblée. Le pape oppose bien curieusement adoration et mystère qu’il se réjouit de voir disparaître avec la réforme liturgique (n° 25). Par certains aspects, on peut redouter de retrouver quelques réminiscences du fameux article 7 première mouture de la présentation générale du missel romain de 1969, qui semblait fort définir le sacrifice eucharistique comme un « rassemblement du peuple de Dieu se réunissant sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur. ».

Qui, dans le peuple chrétien invité à se former liturgiquement (« il est important aujourd’hui de diffuser cette connaissance au-delà du milieu universitaire », n. 35), lira ce pavé professoral ? Il servira assurément d’incitation à former des groupes de formation pour conforter les retraités, hommes et femmes qui, dans les paroisses, animent avec les diacres permanents, hommes et pas encore femmes, les assemblées dominicales ? Bref, on est dans l’entre soi.

Et comme le… – on ose pas dire le diable, s’agissant d’une Lettre apostolique – est dans les détails, on notera que tous, absolument tous, sont invités au festin eucharistique, pour lequel « il suffit de porter l’habit de noces de la foi, qui vient de l’écoute de sa Parole «  (n. 5). La foi suffit, pas la grâce.

Une seule liturgie, celle de Vatican II

Le n. 61 s’achève par une sorte de sophisme, une conclusion que n’appellent pas les prémisses : « Dans cette lettre, j’ai voulu simplement partager quelques réflexions qui n’épuisent certainement pas l’immense trésor de la célébration des saints mystères. Je demande à tous (de) puiser dans ce qui est la première source de la spiritualité chrétienne. […] C’est pourquoi nous ne pouvons pas revenir à cette forme rituelle que les Pères du Concile, cum Petro et sub Petro, ont senti la nécessité de réformer ». Nous ne pouvons pas ne pas revenir à la messe nouvelle.

Le passage fondamental, dont tout le positif du texte forme en réalité le réceptacle est le n. 31, dans lequel le ton se fait plus précis : « Il serait banal [trop superficiel] de lire les tensions, malheureusement présentes autour de la célébration, comme une simple divergence entre différentes sensibilités envers une forme rituelle. La problématique est avant tout ecclésiologique. Je ne vois pas comment on peut dire que l’on reconnaît la validité du Concile – bien que je m’étonne qu’un catholique puisse prétendre ne pas le faire – et ne pas accepter la réforme liturgique née de Sacrosanctum Concilium, un document qui exprime la réalité de la liturgie en lien intime avec la vision de l’Église admirablement décrite par Lumen Gentium. Pour cette raison – comme je l’ai expliqué dans la lettre envoyée à tous les évêques – j’ai estimé qu’il était de mon devoir d’affirmer que “les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, sont l’unique expression de la lex orandi du Rite romain” (Traditionis custodes, n. 1).

La pointe polémique vise ceux qui assurent qu’ils reconnaissent la validité du Concile (serait-il possible qu’il en soit autrement, se demande le pape ?), tout en refusant la nouvelle liturgie. Le fond de l’affirmation est alors la reprise du n. 1 de Traditionis custodes : il n’y a dans l’Église postconciliaire qu’une seule loi liturgique, qui exprime la seule loi de la foi.

Du sel sur la plaie

Tenir de tels propos n’est évidemment pas favoriser la paix liturgique. Mais le Pape argentin assume clairement cette posture : il veut la disparition d’une liturgie « non conforme », ou au moins, pour un temps, sa relégation aux marges : lefebvrisme ou ecclésiadéisme ghettoïsé. Volontairement, le souverain pontife et ses collaborateurs jettent ainsi du sel sur la plaie ouverte.

En vain. On ne peut imaginer que l’usus antiquior, dont la pratique dure depuis soixante ans malgré les interdictions, les persécutions, les restrictions, qui remplit malgré tout les églises et chapelles où il se célèbre d’un public jeune et familial, qui engendre des vocations en nombre, qui provoque des conversions, va soudain disparaître parce qu’un pape aux humeurs autoritaires et les petits professeurs bugniniens de Saint-Anselme qui l’entourent l’ont décidé ?

Il est vrai que la tentative de Benoît XVI pour restaurer l’unité autour d’une « herméneutique de la réforme dans la continuité », avec un assagissement du Concile, avait échoué. Mais il clair que la maximalisation du Concile par le Pape François n’est pas en meilleure forme. L’hémorragie de pratiquants, de prêtres, de séminaristes, se poursuit inexorablement. L’individualisme de la croyance est devenu la règle pour les catholiques. Et la déchirure du corps catholique s’est accentuée comme jamais, comme le prouve la fièvre synodale germanique ou gallicane.

Tous ceux qui réfléchissent à cette situation en vue de la surmonter savent qu’il faudra en venir tôt ou tard, et le plus vite sera le mieux, à un recentrement doctrinal, spirituel et bien entendu liturgique. Mais auparavant on peut imaginer, après que sera tournée cette page de bruit et de fureur contre les formes traditionnelles (non seulement celle des traditionalistes, mais aussi des « restaurationnistes » – cf l’entretien du pape avec les représentants de revues jésuites européennes, 15 juin 2022), une période où, bon gré mal gré, sera laissée une saine liberté à toutes les forces vives, celles qui produisent des fruits de transmission de la foi, de vocations et de mission. Au cœur desquelles se trouve celle qui cultive la messe romaine ancienne, lex orandi pure de toute erreur.

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