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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Joyeux anniversaire Notre-Dame de Kibeho, ne pleurez plus

Joyeux anniversaire Notre-Dame de Kibeho, ne pleurez plus

Par Antoine Bordier

Le 28 novembre 1981, il y a 40 ans, dans le sud du Rwanda, à Kibeho exactement, apparaît la Vierge Marie à une jeune collégienne, Alphonsine Mumureke. Elle a 16 ans. Elles seront trois voyantes, en tout, à bénéficier de la présence de celle qui apparaît sous le vocable de Notre-Dame des 7 Douleurs. Reconnues par l’Eglise, ces apparitions, qui ont duré 8 ans, jusqu’au 28 novembre 1989, ont annoncé le génocide Rwandais de 1994. Alphonsine en est la seule survivante. Lors de son apparition du 15 août 1982, la « Vierge Marie pleure », à cause des péchés de ses enfants, à cause de nous. Le père Daniel-Ange, qui a vécu 12 ans au Rwanda, évoque ce « gouffre vers lequel toute l’humanité glisse encore aujourd’hui. » Reportage en eau vive mouvementée.

Sur le GPS, de Kigali, la capitale du Rwanda, il faut 4h et 12 petites minutes pour parcourir en voiture (le 4×4 est conseillé) les 185 kms et rejoindre le sanctuaire Notre-Dame de Kibeho, juché sur un plateau verdoyant où la terre battue donne une coloration picturale contrastée à l’ensemble du paysage. A 2000 mètres d’altitude, les poumons commencent à marquer le pas. Les battements du cœur se font plus lents. Sur place, ils sont, déjà, des milliers. Tout le pays semble s’être donné rendez-vous aux pieds de Notre-Dame des 7 douleurs. Les frères et les sœurs Pallotins sont là, toujours fidèles aux postes de l’accueil et de la bienveillance. La gestion du sanctuaire leur a été confiée il y a une vingtaine d’années. Grâce à cette communauté, qui a été fondée en 1835 à Rome par Vincent Palloti, un prêtre italien, et, qui se nomme officiellement la Société Apostolique Catholique, le sanctuaire de Kibeho s’est agrandi pour recevoir les pèlerins.

« Avant, ils dormaient tout autour de l’Eglise du sanctuaire, raconte le père Daniel-Ange. Maintenant, ils peuvent dormir soit chez les sœurs, soit chez les pères. Mais les hôtelleries ne sont pas assez nombreuses. »

Sur place, une demi-douzaine de maisons en briques rouges semblent être sorties, récemment, de terre.

Le sanctuaire a tout prévu pour recevoir les 20 à 30 000 pèlerins attendus. Cette année, les célébrations solennelles ont été décalées d’un jour. L’évêque du diocèse de Gikongoro, Mgr Celestin Hakizimana, a décidé ce décalage en raison du premier dimanche de l’Avent. Une veillée aux flambeaux fera le trait d’union entre ces deux évènements importants. Puis, le lendemain matin, le jour J+1 des 40 ans de la première apparition de la Vierge Marie à Kibeho, le 28 novembre 1981, vers 12h33, un chapelet à Notre-Dame des 7 Douleurs précédera la Messe Anniversaire célébrée par l’évêque. Mais, auparavant, la date qui s’affiche est celle de l’année 1981.

Des apparitions au miroir du monde

En 1981, Alphonsine vient de faire sa rentrée au collège de Kibeho. Originaire de la région de Kibungo, dans le Gisaka, au sud-est du pays, elle est née le 21 mars 1965 de parents cultivateurs. Ils sont chrétiens. Mais, à la suite du divorce de ses parents, elle est élevée par sa mère. A l’âge de 12 ans, elle demande le baptême. Très active, elle participe, alors, à la chorale de sa paroisse. Malgré une scolarité très difficile, elle est, enfin, à l’âge de 16 ans, admise au collège de Kibeho pour la rentrée de septembre 1981. Au début du mois de novembre, elle tombe malade et passe plusieurs séjours à l’hôpital de Butare. Il faut plus d’une heure en voiture pour faire les 49 kms qui la sépare de l’hôpital. Butare, c’est la ville principale de la région, et, le centre universitaire du pays. Le 28 novembre, de retour à Kibeho, vers 12h33, dans la cantine de l’école, la Vierge Marie lui apparaît.

A cet instant, attirée et faisant le vide autour d’elle, Alphonsine se retrouve au milieu de la cantine à fixer sans bouger le haut du plafond. La dame lui dit : « Mwana » (enfant). Elle lui répond : « Me voici. Qui es-tu femme ? ». La Dame lui répond : « Je suis la mère du Verbe. » L’apparition va durer quelques minutes. D’autres suivront, jusqu’en 1989. La Vierge Marie apparaîtra à d’autres jeunes filles, Nathalie Mukamazimpaka et Marie-Claire Mukangango. L’Eglise du pays enquêtera pendant 20 ans pour les reconnaître.

Le 15 août 1982, les voyantes ont une nouvelle apparition. Elles décrivent la Vierge en pleurs. Devant 10 000 personnes, les trois voyantes Alphonsine, Nathalie et Marie-Claire, ont soudain des visions effrayantes : les jeunes filles se mettent à pleurer, claquent des dents et tremblent de tout leur corps. La Vierge, disent-elles, leur montre « des têtes décapitées, un fleuve de sang et des gens qui s’entretuent », des cadavres abandonnés sans que personne ne vienne les enterrer. La foule qui entoure les jeunes filles prend peur, et, commence à s’attrister.  Les messages que Marie leur transmet sont à destination du Rwanda, mais, aussi, du monde entier.

Le génocide de 1994

Le Rwanda est le premier concerné par cette vision apocalyptique, ce « nouveau Golgotha » de la fin du XXè siècle. Les visions des voyantes sont prophétiques et annoncent, malheureusement, le génocide de 1994. Le Rwanda, petit pays de moins de 10 millions d’habitants, à l’époque, sort de la tutelle belge lors de son indépendance de 1961-1962. Les affrontements ethniques entre les Hutus, majoritaires, et les Tutsis reprennent. Ces-derniers sont souvent les victimes de ces massacres. Ils s’exilent en masse dans les années 60 et 70. Direction l’Ouganda, le Congo, et le Burundi, les pays voisins. Mais, c’est en Ouganda où les Tutsis se mobilisent le plus pour renverser le gouvernement et espérer reprendre le pouvoir. Car, ils ont toujours formé l’élite du pays. Le Front Patriotique Rwandais est créé. Dans la foulée, le FPR se prépare à la guerre. Le 1er octobre 1990, il perce la frontière rwandaise, ce qui déclenche une guerre civile dans tout le pays. La France et les services de l’Elysée sont alertés. François Mitterrand est informé de la situation. Le 15 octobre de cette même année, Georges Martres, l’ambassadeur, informe de nouveau l’Elysée et emploie pour la première fois le terme de « génocide ».

Le 6 avril 1994, l’avion du Président Rwandais, Juvénal Habyarimana, est abattu par « un mystérieux tir de missiles ». En quelques heures « les extrémistes hutus s’emparent du pouvoir » et accusent l’opposition armée du FPR d’être les auteurs du tir de missile. Ils assassinent toute l’élite Tutsis et déclenchent le génocide en appelant la population Hutue aux meurtres. C’est le début d’un énorme génocide qui va durer 100 jours. Les massacres feront près d’un million de morts. La folie barbare, meurtrière et sanguinaire s’est abattue sur tout un pays, tout un peuple. Les fleuves et rivières voient leurs eaux viciées et devenir des marées de sang humain. Les cadavres encore chauds couvrent les chemins, les collines et les vallées dans tout le pays. Les autorités et les radios locales, comme la radio des Mille Collines, deviennent des exutoires de haine, où les appels aux meurtres sont diffusés sans discontinuer. Les autorités religieuses, à majorité chrétienne, se taisent et se terrent dans un mutisme des plus effroyable. Dans les Eglises et les écoles, les Tutsis, qui espéraient y trouver refuge, sont brûlés vifs. Une odeur pestilentielle monte vers le ciel. Les survivants sont pourchassés. La prophétie de Notre-Dame des 7 Douleurs prend fin le 17 juillet 1994. 12 ans auparavant les enfants avaient vu tout cette abomination. C’est l’enfer sur terre.

Daniel-Ange sur la crête

En 2021, à 9000 kms de là, en France, le père Daniel-Ange a pris l’habitude de passer quelques mois d’écriture et de solitude dans les monts Voirons, non loin de la Suisse, dans son ermitage perché à 2000 m d’altitude. Il connaît bien le Rwanda, les apparitions, Alphonsine, la survivante, et, l’atrocité du génocide. Entre 1958 et 1971, il vit dans le pays aux mille collines. Il s’y rend en bateau, depuis Marseille, jusqu’à Mombassa, au Kenya, puis, il fait du stop en tenue monastique. Et, ça marche ! A la frontière, il tombe littéralement amoureux de ce pays.

« J’ai eu un coup de foudre pour ce pays, pour cette nation. J’ai vécu sur la crète du Congo-Nil, là où sont toutes les sources qui se déversent, au nord, jusque dans la Méditerranée, après une course de 6000 kms, celle du Nil. Et, à l’est, le fleuve Congo, après une course de 4 000 kms se déverse dans l’Atlantique. Avec une douzaine de frères, nous avons fondé la fraternité de la Vierge des Pauvres. »

Ils vivent dans une certaine pauvreté, la vie monastique. Entre prières et travail, entre ‶ ora et labora ″, ils confectionnent des petits meubles artisanaux en bois, pour se procurer leur pain quotidien. Daniel-Ange parle avec émotion du « peuple extraordinaire du Rwanda, d’une grande culture et d’une grande finesse. Il a une des langues les plus riches du monde. La moitié de sa population est chrétienne. » Sur place, il mettra 6 mois pour apprendre cette fameuse langue, qui chante et semble bondir de colline en colline. Il s’en souvient encore, et, prononce ces quelques mots en rwandais : « Le cœur d’amour, le cœur de lumière ». Après la crête du Congo-Nil où l’évêque local lui demande d’organiser le premier pèlerinage marial dédié à Notre-Dame de Banneux, il part vivre 6 ans sur une île du lac Kivu, qui sert de frontière naturelle avec le Congo. Le lac est une véritable mer intérieure, grand comme 5 fois le lac Léman. Au milieu des vaches et des hautes herbes, il y fonde une nouvelle fraternité monastique.

Le gouffre

En 1971, il rentre, définitivement, en Europe. Après le génocide de 1994, il y est retourné plusieurs fois pour recueillir des témoignages sur les actes héroïques de celles et ceux qui ont survécu. En 1984, il avait, déjà, participé à la Commission d’Enquête théologique sur les apparitions mariales de Kibeho. En 2019, sort son livre : Rwanda, au fond de l’enfer le ciel ouvert, où il a recueilli 300 témoignages de (sur)vivants.

Il n’hésite pas à reparler du gouffre dont témoignaient Alphonsine et Nathalie. La Vierge Marie demande à cette-dernière, le 6 juillet 1982 :

« Tu dois contribuer au salut de beaucoup d’hommes tombés dans le gouffre. Je te charge de les retirer de là en collaborant avec moi. »

Il ne s’agit pas ici de l’enfer, mais du gouffre des malheurs de notre temps. En 1995, Mgr Augustin Misago, l’ancien évêque du diocèse de Gikongoro, décédé en 2012, rappelait la stupeur générée par le récit des voyantes : « Maintenant nous pouvons dire qu’il y a eu une prédiction du drame rwandais, mais je me souviens que le 15 août 1982, à la fête de l’Assomption, les voyantes au lieu de voir la Vierge pleine de joie, ont été témoins de terribles visions, effrayantes, de cadavres d’où jaillissaient d’abondants flots de sang, laissés sans sépultures sur les collines. Personne ne savait ce que signifiaient ces terribles images. Maintenant on peut relire les événements et penser qu’elles pouvaient être une vision de ce qui est arrivé au Rwanda… » Pour Daniel-Ange : « le gouffre est d’actualité, et, concerne, aujourd’hui, toute notre humanité. » Que faire ?

Des raisons d’espérer

Avant le génocide, Jean-Paul II, alors qu’il s’était rendu au Rwanda en 1990, du 7 au 9 septembre, avait salué l’Eglise, les autorités gouvernementales, la jeunesse et la majorité paysanne du pays. Il avait semé des paroles d’espérances à Kigali : « Au seuil de ma visite, ma pensée va d’emblée vers l’ensemble du peuple du Rwanda, et plus particulièrement vers ceux qui souffrent. Je sais qu’une grave disette alimentaire a frappé récemment une partie du pays et qu’elle a pris, dans certaines régions, des dimensions tragiques. Je recommande à Dieu les victimes qui ont succombé ; j’assure de ma sympathie les familles éprouvées ; je forme le vœu que soient soulagés au plus vite ceux qui se trouvent dans un dénuement insupportable. Ensemble, nous demanderons au Maítre du ciel et de la terre de donner à chacun sa nourriture quotidienne. Nous lui confierons aussi les efforts et les initiatives des Rwandais et des Rwandaises pour protéger et sauvegarder leur terre. En effet, leur plus riche patrimoine, c’est justement cette terre d’où vient leur subsistance. » Dans la cathédrale de Kigali, il avait dit :

« Chaque fidèle est une pierre vivante de cet édifice (NDLR : l’Eglise) et son rôle est irremplaçable. Venant au cœur de l’Eglise diocésaine, chacun peut reprendre conscience plus vivement de la contribution attendue de lui pour qu’elle réponde toujours mieux à sa mission. »

Puis, il avait changé de ton, le 9 avril 1994, alors que les corps inertes des Tutsis commençaient, déjà, à joncher les terres battues rwandaises, au début du génocide. De Rome, il avait lancé ce cri :

« Ne cédez pas à la haine et à la vengeance. Dans cette étape tragique de la vie de votre nation, soyez tous des artisans d’amour et de paix. »

Un an plus tard, à sa suite, Benoît 16, lors de la visite « ad limina apostolorum » des évêques rwandais, le 21 mai 2005, leur avait dit :

« A travers vous, j’adresse un salut affectueux à vos communautés, exhortant prêtres et fidèles, durement éprouvés par le génocide de 1994 et par ses conséquences, à demeurer fermes dans la foi, à persévérer dans l’espérance que donne le Christ ressuscité, en surmontant toute tentation de découragement. Puisse l’Esprit de Pentecôte, répandu sur tout l’univers, féconder les efforts de ceux qui s’attachent à édifier la fraternité entre tous les Rwandais, dans un esprit de vérité et de justice ! »

Enfin, le Pape François, le 3 avril 2014, lors de la commémoration du 20è anniversaire du début du génocide exhortait les évêques du Rwanda, venus en visite à Rome. Il exhortait le peuple rwandais à la « réconciliation nationale. » Il parlait de la jeunesse, de

« cette jeunesse est un don et un trésor de Dieu dont toute l’Église est reconnaissante au Maître de la vie. Il faut aimer cette jeunesse, l’estimer et la respecter ».

Notre-Dame des 7 Douleurs

Le pape François concluait son discours, en se tournant vers la Mère des mères, vers la Vierge Marie. Il lançait

« un appel à se tourner avec confiance vers ‶ Notre-Dame des 7 Douleurs ″, pour qu’elle accompagne chacun dans sa marche et lui obtienne le don de la réconciliation et de la paix ».

Le pape François, on le comprend, est très attaché au Rosaire et à Notre-Dame des 7 Douleurs. Dans l’histoire de l’Eglise, c’est au XIVè siècle pour que l’on parle communément des sept douleurs de la Vierge : la prophétie du vieillard Siméon, le massacre des Innocents et la fuite en Egypte, la perte de Jésus au Temple de Jérusalem, l’arrestation et les jugements du Christ, la mise en croix et la mort du Christ, la déposition de la croix et la mise au tombeau. En 1492, Jean de Coudenberghe fonde la confrérie de Notre-Dame des 7 Douleurs. Avec saint Ignace de Loyola, les Jésuites publièrent près de 100 ouvrages qui lui sont consacrés.

Lors de ses apparitions, la Vierge Marie a appris aux voyantes à prier le chapelet qui lui est consacré. Il est d’actualité ! Elle demande tout particulièrement de le prier le 28 novembre, le 15 septembre et le 2 février.

En ces temps qui sont les derniers, lors de sa dernière apparition, du 28 novembre 1989, Notre-Dame des 7 Douleurs laisse ce message au monde : « Priez sans relâche pour l’Eglise, car de grandes tribulations l’attendent dans les temps qui viennent. » Nous y sommes.

Reportage réalisé par Antoine Bordier, consultant et journaliste indépendant

Copyright photos A. Bordier, Sanctuaire de Kibeho et DR

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