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Valeurs chrétiennes : Culture

Jeff Koons à Versailles ou la fête des fous

Jean Clair, de l’Académie française, dit ce que lui inspire l’exposition de Jeff Koons à Versailles :

"Jeff Koons est […] devenu l’un des artistes les plus chers du monde. La mutation s’est faite à l’occasion des transformations d’un marché de l’art qui, autrefois réglé par un jeu subtil de connaisseurs, directeurs de galeries, d’une part, et connaisseurs, de l’autre, est aujourd’hui un mécanisme de haute spéculation financière entre des maisons de vente, Sotheby’s ou Christie’s par exemple, et de nouveaux riches sans grande culture et sans goût. […]

Ce qui m’arrête dans ce phénomène, c’est qu’il s’inscrit dans une longue série de faits semblables : pas moyen de voir une exposition de Courbet sans qu’on vous inflige des photos d’un artiste contemporain d’un pubis velu pour vous rappeler que les dames autrefois n’étaient pas rasées. Pas moyen de visiter une exposition au Musée d’Orsay sans se voir imposer la vision d’un abstrait ou d’un minimaliste qui vous convaincra que Böcklin ou Cézanne n’avaient jamais fait, les malheureux, que les annoncer. Pas moyen enfin de méditer devant des retables du XVe siècle sans s’écorcher au passage aux cornes d’un animal «dragonnesque» imaginé par un Jan Fabre. […]

Jeff Koons n’est que le terme extrême d’une longue histoire de l’esthétique moderniste que j’aimerais appeler l’esthétique du décalé. […] Rien d’intéressant qui ne soit «décalé». Une exposition se doit d’être «décalée», une œuvre, un livre, un propos seront d’autant plus goûtés qu’ils seront «décalés». Décaler, ça veut dire ôter les cales ; on décale un meuble – et il tombe, on décale une machine fixée sur son arbre, et elle devient une machine folle, on décale un bateau, et vogue la galère… Une nef des fous, en effet. Mais des propos décalés qui font tache dans l’harmonie d’une conversation provoquent l’attention. Jeff Koons à Versailles ou l’acmé du décalage. En langage populaire, on dirait «débloquer»… Le décalage, c’est la version populaire de la déconstruction derridéenne, tout comme les graffitis sur les monuments, autre phénomène apparu il y a une quinzaine d’années, en sont la version sauvage. […] Le monde à l’envers donc. L’âne qui charge son maître de son fardeau et qui le bat, le professeur traduit en justice pour avoir giflé l’élève qui l’insultait, le bœuf découpant son boucher au couteau, les objets de Koons déclarés «baroques» appendus dans les galeries royales. Fin d’un monde. Fête des fous et des folles".

Michel Janva

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8 commentaires

  1. Bravo !

  2. Quand on n’a pas de talent on impose son “art”! Ce monsieur à de l’argent en tout cas…
    Mais nous voulons qu’il décroche ses “homards” et autres sal……s et qu’il aille les “imposer”, pardon,les “exposer” ailleurs qu’au chateau de Versailles, patrimoine des français!!!
    Que ceux que cela “défrise” et qui considèrent ses oeuvres comme des merveilles, qu’ils lui offrent donc leurs salons pour les exposer !!!

  3. C’est impressionnant comme la prose d’un académicien digne de ce nom efface tous les textes des journaleux du Figaro.
    Heureusement qu’il nous reste ce genre d’articles à lire dans ce journal.

  4. Propos bien sentis, très clairs et très pertinents !
    Aillagon, démission !

  5. Très bien dit.
    Sur ce sujet, il y a le très bon livre de Christine Sourgins : “Les mirages de l’art contemporain”

  6. Pour revenir sur le fond de cette exposition.
    « Le musée est la fin de l’art. Les artistes [comme le public] n’y reçoivent que des leçons mortes. » écrivait Quatremère de Quincy au début du XIXe siècle qui s’insurgeait contre le transfert des œuvres d’art soustraites à leur contexte. Car ne l’oublions pas, l’art est conçu d’abord pour un lieu et un usage, ce que n’est plus l’art contemporain conçut à 90% pour des galeries et des musées. C’est uniquement dans la relation au statut d’œuvre exposée que l’art contemporain prend son sens.
    Confronter des œuvres d’art contemporaines dans un lieu comme Versailles, qui n’est pas un musée, mais une œuvre d’art complète in situ, n’a pas de sens dans la mesure ou les pièces exposées de Koons n’ont pas de relations au lieu.
    Koons à Versailles n’est pas la confrontation d’œuvres, mais l’altération d’une œuvre.
    Jeff Koons n’est cependant pas le problème.
    Exposer à Versailles des Peintres et sculpteurs de la Renaissance ou du XVIIe siècle ou encore des collections d’objets de luxe comme des Rolls ou des Maserati serait tout aussi ridicule. Versailles a été conçu comme un tout.
    On peut toujours justifier de confronter des œuvres, mais dans le cas de Versailles, c’est comme si vous décidiez de “taguer” la Joconde ! On intervient directement DANS l’œuvre originale. Ou bien alors, on crée comme Duchamp une autre œuvre, mais si les moustaches sont bien de ce dernier, la Joconde est une copie et cette Joconde trouve sa place à Beaubourg, mais pas au Louvre. Il faut rester logique.
    Tous les espaces de Versailles comme les Salons ou la Grande galerie sont des œuvres d’art intrinsèquement conçues, certes à plusieurs mains, mais conçues comme une globalité, un objet unique, une œuvre d’art entière. C’est pourquoi le travail des restaurateurs et des conservateurs s’attache à rendre et à conserver l’intégrité de ces joyaux de l’art Français.
    Introduire autre chose dans ces espaces signifie altérer le lieu, dénaturer une œuvre d’art.
    Cette exposition est une altération temporaire de Versailles, mais une altération quand même.

  7. Excellent texte.
    Excellents commentaires.
    Mais rien n’y fait, l’exposition continue. Les opposants n’ont aucune influence quoi qu’ils se démènent, écrivent, manifestent.
    Mammon et sa pensée unique règnent en tyrans et rien ne les déboulonne.

  8. Quand j’étais en BTS Communication Visuelle, on a visité un jour le musée Bourdelle. Dans ce musée, à côté des oeuvres d’Antoine Bourdelle, étaient exposés des oeuvre d’artistes contemporains (Fabre, Arte Povera, etc.).
    À la fin de la visite, l’exercice était de prendre une oeuvre de Bourdelle et une oeuvre d’un artiste contemporain et d’écrire une analyse où on les compare, etc.
    J’avais pris une oeuvre de l’Arte Povera (des cartes de l’Italie découpées dans une plaque de plastique anti-dérapant !) et la maquette du monument à Mickiewicz (à moins que c’était celle au Général Alvéar ?… ou les deux ?… me souviens plus trop… enfin bon…).
    Mais pour trouver une oeuvre contemporaine susceptible de m’inspirer, quelle galère !

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