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Pays : Italie

Italie : l’immigration a consacré la fracture entre les autorités de l’Eglise et les catholiques des périphéries

Italie : l’immigration a consacré la fracture entre les autorités de l’Eglise et les catholiques des périphéries

Marie d’Armagnac vient de publier un portrait de Matteo Salvini, militant régionaliste au sein de la Ligue du Nord qui est parvenu à transformer ce parti en mouvement souverainiste et identitaire. Elu sénateur aux élections de 2018, il devient ministre de l’intérieur et vice-président du conseil. Depuis lors, il a réussi à bâtir une extraordinaire popularité sur une image d’homme d’action, principalement tourné vers la préservation des intérêts italiens, contre l’UE et pour le contrôle strict des migrations méditerranéennes. Il y a du Trump dans cet homme. Nous avons interrogé Marie d’Armagnac, journaliste indépendante ayant vécu de longues années en Italie :

Vous évoquez l’hostilité de Rome et de quelques évêques à l’encontre de Matteo Salvini -le pape François a toujours refusé de le recevoir, mais néanmoins Matteo Salvini a reçu le soutien de nombreux prêtres et il a fait de la Ligue le premier parti catholique. Vous indiquez également qu’il a depuis longtemps des convictions pro-vie, qu’il a mis en pratique comme conseiller municipal à la mairie de Milan dans les années 1990 puis en promouvant Lorenzo Fontana au ministère de la famille. Cette conquête du vote des catholiques italiens malgré l’hostilité de l’épiscopat résulte-t-elle d’une perte d’influence de l’Eglise ou du génie de Matteo Salvini ?

Lorsqu’en 2013 le pape François se rend à Lampedusa, dès le début de son pontificat, il inaugure un pontificat très politique : il quitte sa cathèdre pontificale et descend dans l’arène. L’accueil indiscriminé des migrants qu’il prône à de très nombreuses reprises tout au long de son pontificat – je pense notamment au texte publié par le Vatican pour la 104 ème journée mondiale du migrant et du réfugié en 2017, mais aussi à tous ses discours, sermons, textes dans lesquels il martèle un discours pro-migrants-, a déconcerté beaucoup de catholiques italiens. La confusion entretenue depuis le début de son pontificat entre la pratique de la charité personnelle à l’égard des plus démunis – une obligation pour tout chrétien – et sa vision très politique du phénomène migratoire à l’échelon national et supra-national a heurté une partie des catholiques italiens pourtant très engagés dans les organisations caritatives et les œuvres de bienfaisance, qui sont en Italie forcément très liées à l’Eglise. Il y a eu à ce moment-là une fracture entre la hiérarchie catholique italienne, ses évêques, et une partie du « peuple » catholique, comme si se jouait, ici aussi, cette opposition, nolens volens, entre l’élite de l’Eglise et les périphéries que constituent les catholiques de base, ceux « du dernier rang ». Etrange paradoxe pour un pape qui se revendique ouvert sur les périphéries ! Et ce n’est pas un hasard si Matteo Salvini a pu dire « Pour un cardinal contre moi, j’ai dix curés qui me soutiennent ! ».

Ce « catho-souverainisme » de Matteo Salvini, comme on dit en Italie, doit sans doute quelque chose à sa proximité avec Lorenzo Fontana, mais il ressort aussi, tout simplement, de sa volonté de protéger et promouvoir les racines chrétiennes de l’Italie constitutives de son identité. Et, après des années d’immigration clandestine, cela a trouvé un certain écho dans la population italienne. D’où les résultats de la Ligue aux européennes, où les catholiques ont voté en majorité pour la Ligue (même s’ il y a eu de leur part une très forte abstention).

Vous montrez que Matteo Salvini a su utiliser, comme Donald Trump, les réseaux sociaux pour contourner la désinformation médiatique et assurer sa promotion. Sans internet, aurait-il réussi à percer et à dominer la vie politique italienne ?

Certainement pas ! Matteo Salvini est « accro » aux réseaux sociaux, car, dit-il, « les gens, c’est là que tu les trouves ! ». Mais, et ceci est très important, il est arrivé à la direction de la Ligue après des années de militantisme acharné, de terrain, de rencontres avec les gens. Dès les débuts de la Ligue, Umberto Bossi a compris que la marche vers le pouvoir, passait, bien évidemment, par un ancrage local, et Matteo Salvini a poursuivi dans cette direction. Les réseaux sociaux ont donc servi de caisses de résonance au discours leghiste, exprimé, d’abord, sur le terrain. Il est donc faux de dire que Matteo Salvini est une créature des réseaux sociaux, c’est une explication facile, mais erronée, ou en tout cas très partielle.

Cet été, il a provoqué une crise politique qui a évincé la Ligue du gouvernement. Selon vous, a-t-il été dépassé par cette “combinazione” à l’italienne entre le Parti Démocrate et le mouvement 5 Etoiles ou, au contraire, cette alliance improbable entre-t-elle dans sa stratégie de reconquête du pouvoir ?

Pour comprendre dans son ensemble la crise de cet été, il faut revenir un peu en arrière. Au début du gouvernement, la coalition Ligue-Cinq étoiles fonctionnait relativement bien, au gré de concessions faites de part et d’autre. Puis la campagne électorale pour les européennes, initiée très tôt, a commencé à faire déraper les choses, tandis que, dans le même temps, Matteo Salvini empiétait chaque jour un peu plus, sur l’espace vital de Luigi di Maio, le leader assez inconsistant du mouvement Cinq étoiles. Le résultat des élections européennes est fracassant pour les deux partis : le Ligue double son score par rapport aux législatives de l’année précédente, le mouvement 5 étoiles perd la moitié de ses électeurs.

Deuxième fait marquant : le mouvement Cinq étoiles appuie la candidature d’Ursula von der Leyden à la tête de la Commission européenne, lui apportant les 9 voix manquantes pour son élection, tandis que la Ligue vote contre. Le retournement idéologique des Cinq-étoiles est flagrant : leurs députés européens siégeaient aux côtés de Nigel Farage dans la législature précédente !

A partir de ce moment-là, Luiggi di Maio joue une stratégie de la tension, il s’oppose à toutes les réformes voulues par la Ligue : réforme fiscale, autonomie des régions. Matteo Salvini, et tout l’état-major de la Ligue derrière lui, s’exaspère de cet immobilisme. Il est aussi très probable que le Partito democratico italien (PD, gauche) a approché le mouvement Cinq étoiles très tôt pour monter une coalition de gouvernement alternative et éjecter ainsi la Ligue du gouvernement. Ce qui était impensable un an auparavant, quand les Cinq étoiles clamaient haut et fort, et ce jusqu‘en juillet 2019, qu’ils ne pourraient jamais gouverner avec le PD, qu’ils considéraient alors comme la quintessence de la corruption de la vieille élite politique. Matteo Salvini a joué ici un coup perdant : il a cru que le mouvement Cinq étoiles était réellement anti-système, que ses diatribes contre le PD étaient sincères…et que le consensus populaire dont la Ligue bénéficie « obligerait » le président de la République, Sergio Mattarella, à dissoudre le Parlement. Or celui-ci, au nom de la stabilité du pays, a voulu pousser à fond la logique institutionnelle, et mettre sur pied une coalition de gouvernement qui est encore plus incongrue que la précédente, mais qui présente l’énorme avantage de bénéficier du soutien de Bruxelles, d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron. La ligue de Matteo Salvini se retrouve donc dans l’opposition, tandis que les sondages la créditent de 35% des intentions de vote.

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