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Bioéthique

Insémination post-mortem : la légalisation par la CEDH ?

Insémination post-mortem : la légalisation par la CEDH ?

L’insémination post-mortem est, pour le moment, exclue du projet de loi sur la bioéthique. Mais cela reste un sujet d’actualité pour les militants de la fabrication d’enfants privés de père. La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie de l’affaire Dalleau c. France relative à une demande de transfert en Espagne de gamètes en vue d’une insémination post mortem, pratique interdite en France. Delphine Loiseau explique sur l’ECLJ :

Mme Dalleau avait, avec M.C. son partenaire, formé le projet d’avoir un enfant par une procréation médicalement assistée (PMA). En effet, en raison du cancer de M.C., son traitement risquait de le rendre stérile. M.C. est décédé des suites de sa maladie avant l’insémination artificielle. Mme Dalleau a alors demandé à un Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) le transfert des paillettes vers un établissement de santé espagnol pratiquant l’insémination post mortem, cela étant permis par la législation espagnole lorsque le consentement du défunt a été donné de son vivant. Face à l’absence de réponse du centre, la requérante a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, puis en dernier recours le Conseil d’État afin d’obtenir ce transfert. Elle a alors saisi la CEDH ; ces deux juridictions ayant refusé sa demande. Selon Mme Dalleau, ce refus porterait atteinte à sa vie privée et familiale.

Cette affaire soulève la question de la compatibilité avec le droit à la vie privée et familiale de la femme survivante du refus d’exporter les gamètes d’un homme décédé vers un établissement de santé étranger. En d’autres termes, l’article 8 de la Convention ouvre-t-il un droit à utiliser les gamètes d’une personne décédée pour réaliser le désir d’une femme d’avoir un enfant, quand bien même celui-ci naîtrait alors orphelin ?

La loi française prévoit spécifiquement qu’une procréation médicalement assistée ne peut être envisagée que pour un couple hétérosexuel, vivant et en âge de procréer (art. L. 2141-2 al. 3 du Code de la Santé publique) dans le but d’offrir à l’enfant une famille, des parents. La mort de l’un des membres du couple empêche l’insémination ou le transfert des embryons (même article). L’article L. 2141-11-1 du Code de la santé publique dispose expressément que les gamètes recueillis ne peuvent faire l’objet d’une exportation que si les conditions de la procréation médicalement assistée sont réunies. Par conséquent, la loi française interdit l’exportation de gamètes lorsque l’un des membres du couple est décédé.

Le Conseil d’État, dans le cadre d’une autre affaire, par un arrêt du 31 mai 2016 avait cependant autorisé le transfert en Espagne des gamètes d’un homme décédé demandé par sa veuve espagnole, souhaitant recourir à une insémination post mortem. Pour rendre une telle décision contra legem, la haute juridiction s’est fondée sur deux arguments principaux : la volonté explicite du défunt que ses gamètes soient utilisés par son épouse pour une insémination post mortem et l’absence de volonté de la veuve de contourner la loi française du fait de sa nationalité espagnole.

C’est dans ce contexte, que les juridictions administratives françaises ont refusé d’accéder à la demande de transfert de la requérante. En effet, d’après elles, en l’absence de volonté expresse du partenaire décédé que ses gamètes soient utilisés après son décès et de tout lien entre la requérante et l’Espagne, les décisions des autorités françaises étant fondées sur des objectifs légitimes, le refus de transfert ne portait pas atteinte à la vie privée et familiale de la requérante. L’interdiction de l’insémination post mortem relevant de la marge d’appréciation dont dispose un État dans l’application de la Convention, il n’existe pas d’incompatibilité entre la législation française et le droit à la vie privée et familiale de la requérante.

Si ces décisions de refus doivent être saluées et maintenues telles quelles, les arguments fondant ces décisions sont toutefois plus discutables. En effet, il existe un grand absent de ces décisions françaises, et donc de la requête pendante devant la CEDH : l’intérêt supérieur de l’enfant issu d’une telle pratique. En outre, l’insémination post mortem détourne la PMA de son objectif de mettre fin à une situation d’infertilité médicalement constatée. Il est d’ailleurs fort probable que la Cour européenne ne conclut pas à la violation de l’article 8 de la requérante, en l’absence d’accord du partenaire décédé concernant l’utilisation de ses gamètes après sa mort. Pour finir, cette affaire traite également du tourisme procréatif et plus généralement du law shopping.

L’insémination post mortem contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant

Au niveau international, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) de 1989 signée et ratifiée par la France rappelle en son article 3-1 que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». En outre, l’article 7-1 énonce que l’enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevés par eux ». En permettant la conception d’un enfant après le décès de son père, l’insémination post mortem empêche de manière irréversible que l’enfant ainsi obtenu puisse connaître son père et être élevé par lui. Permettre l’insémination post mortem revient à organiser la naissance d’un enfant privé de son père, c’est-à-dire d’un orphelin. Cette pratique est donc attentatoire aux droits de l’enfant.

Selon la Convention d’Oviedo signée le 4 avril 1997, « les progrès de la biologie et de la médecine doivent être utilisés pour le bénéfice des générations présentes et futures ». Plus spécifiquement, un comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales (CAHBI) a exposé dans un rapport de 1989 des principes visant à fonder la procréation artificielle sur « des conditions appropriées (…) assurant le bien-être du futur enfant » (principe n°1). On conçoit difficilement que la pratique de la PMA post mortem puisse être qualifiée de progrès de la biologie et de la médecine utilisé pour le bénéfice des générations présentes et futures. Bien au contraire, être conçu orphelin ne peut en aucun cas être un bienfait et assurer le bien-être de l’enfant mais constitue en réalité un traumatisme.

D’ailleurs, sur le plan psychologique, l’insémination post mortem est lourde de conséquences pour la construction de l’enfant. Un psychiatre et psychanalyste explique que « ce n’est pas la même chose d’être conçu orphelin que de le devenir […]. Cet enfant risque de nourrir une attitude ambivalente à l’égard de sa mère. Il lui sera reconnaissant de la bataille qu’elle aura menée pour le mettre au monde mais il lui en voudra aussi, inconsciemment, de l’avoir conçu orphelin. On risque de faire un malheureux à vie, même si, bien sûr, l’avenir de chaque enfant est aussi lié à la personnalité de ses parents, et à la façon dont il est élevé ».

Il existe également un très grand risque que l’enfant issu de l’insémination post mortem soit considéré comme un remède, comme un moyen de continuer à faire vivre l’être cher décédé. Comme l’explique Clara Bernard-Xémard, maître de conférences : « Le droit ne peut et ne doit cautionner la venue au monde de ceux que les psychiatres appellent des enfants-prothèse ou encore des enfants remède ». Rendre légal la pratique de l’insémination artificielle post mortem ou accepter le transfert vers un État l’autorisant, revient donc à accepter l’instrumentalisation de l’enfant. L’enfant ne serait alors qu’un moyen de se consoler, une chose. Sur ce point, les propos d’une femme ayant eu recours à une insémination post mortem sont révélateurs : « Ce sera la fusion de notre amour (…), ce sera une partie de nous deux, le sang de notre sang et je trouve ça magnifique » ou encore « Ça serait comme une lumière dans notre histoire. Pour moi, pour nous, pour notre projet et je souhaite mener à bien ce projet car c’était un projet commun ». L’enfant n’est donc voulu que pour ce qu’il représente et non pour lui-même.

Ces différentes conséquences dramatiques pour l’enfant avaient été mises en avant dans le cadre des débats lors des révisions de la loi de bioéthique. Or, la loi a par principe pour finalité de protéger les plus faibles et non pas de transformer des situations de fait difficiles et tragiques –naître orphelin de père- en norme juridique. Il est donc malheureux que l’intérêt de l’enfant n’ait pas été davantage rappelé dans le cadre des décisions des juridictions administratives alors même que l’interdiction de l’insémination post mortem avait était prise sur ce fondement. […]

Au surplus, cette femme ne pourrait pas, même si elle obtenait le transfert des paillettes, se faire inséminer puisque deux des conditions du droit espagnol ne sont pas remplies. En effet, non seulement, le partenaire n’a pas donné son consentement par un testament, un acte authentique ou une directive anticipée mais de plus le délai d’un an à compter de la mort du défunt est expiré. Cette action devant la Cour européenne n’a donc pas pour finalité d’obtenir un enfant, mais manifeste au contraire la volonté de faire « évoluer » le droit français pour lui faire reconnaître un droit à l’enfant. Cette instrumentalisation militante doit être dénoncée.

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