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L'Eglise : L'Eglise en France

Il n’y aura jamais de christianisme sans culture

Il n’y aura jamais de christianisme sans culture

Le séjour de plusieurs romanciers à l’abbaye de Lagrasse a suscité une polémique. Le père Emmanuel Marie, abbé des chanoines de Lagrasse, signe une tribune dans La Croix pour défendre la démarche des écrivains :

« L’Église doit être prête à soutenir ce dialogue avec tous les hommes de bonne volonté, qu’ils soient au-dedans ou au-dehors de son enceinte. » À l’abbaye de Lagrasse, nous avons voulu prendre au sérieux ces mots de saint Paul VI. Le dialogue n’est pas qu’une idée, mais un risque à prendre. Nous avons souhaité courir ce risque, inviter au cœur de notre monastère des écrivains qui voulaient tenter l’expérience. Chacun d’eux a ensuite écrit ce que ce séjour lui a inspiré en un chapitre de ce qui est devenu un livre : Trois jours et trois nuits. Ni sélection à l’entrée, ni censure à la sortie. La règle du dialogue est la liberté.

Il y avait là un enjeu théologique. Nous le savons : « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne : Jésus-Christ. (1) » Nous savons aussi que cette rencontre ébranle la culture, se diffracte en beauté et se dit en un discours. Le Verbe s’est fait chair. Dieu entre charnellement dans la culture de son temps qui devient ainsi le terrain de son dialogue avec l’humanité. Selon les mots du Cardinal Ravasi, « le Verbe s’est fait culture ».

Dès lors, il n’y aura jamais de christianisme sans culture. Elle est l’onde de choc de la rencontre avec le Verbe incarné. Il est des hommes et des femmes qui découvrent la culture chrétienne avant de rencontrer le Christ. Faut-il s’en scandaliser ? Attention aux puritanismes qui excommunient trop vite ces « chrétiens du seuil », ceux qui ne voient que la cathédrale et pas encore la présence divine dont elle est l’écrin.

Qui sommes-nous pour juger un Simon Liberati, narrant dans ce livre son expérience de paix au cœur d’une église plongée dans la nuit, alors que lui-même s’est abîmé dans l’alcool ? Qui sommes-nous pour juger les larmes de Frédéric Beigbeder pendant la liturgie de la messe, lui qui raconte ses débauches nocturnes dans son dernier roman ? Émotion esthétique et superficielle ou début d’une secrète rencontre avec le Christ ? Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre.

Devons-nous juger un Pascal Bruckner s’il pense pouvoir écrire :

« L’abbaye s’inscrit dans une Église post-Vatican II, quand Rome, après un vaste réexamen de sa doctrine, accepte de revenir à une certaine tempérance dans la propagation de la foi. Cette inflexion est capitale : l’abandon de la conversion violente a constitué une formidable avancée et explique pourquoi le christianisme est devenu synonyme de douceur » ?

Qui sommes-nous pour juger de l’incompréhension de l’athée de culture musulmane Boualem Sansal devant le Concile ou des interrogations de Frantz-Olivier Giesbert devant le magistère pontifical ? Quelle attitude adopter : l’écoute, l’explication bienveillante ou la condamnation méprisante et cléricale ?

Faut-il rejeter Louis-Henri de La Rochefoucauld, lorsqu’il remarque, toujours dans cet ouvrage :

« J’ai du mal à me reconnaître dans les catholiques actuels. Ils font de plus en plus de politique, se replient sur des discours identitaires, se passionnent pour la morale… On mobilise de plus en plus le christianisme comme un porte-avions patrimonial dans la bataille civilisationnelle et culturelle. Le christianisme vient du Christ et on l’en évacue comme quelque fâcheux. C’est un comble. »

Pour d’autres, au contraire, comme Sylvain Tesson, c’est le christianisme comme art de vivre qui est touchant. L’écrivain critique le dogme catholique, mais s’émerveille devant « l’ordre des jours anciens ». Certains se scandalisent. Mais nul n’est maître des conditions de la rencontre avec Jésus. On devrait, c’est une sage recommandation du pape François, se méfier d’une forme de pharisaïsme qui consisterait à décerner des brevets de christianisme aux uns et à jeter l’anathème sur les autres parce qu’ils n’ont pas encore découvert la personne de Jésus, mais seulement la culture qu’il a fait naître.

Des adversaires du pape François ?

On comprend que les héritiers anticléricaux de l’idéologie de Mai 68 puissent considérer la culture comme leur « jardin réservé » et refuser a priori qu’un homme de lettres puisse écrire à propos d’une expérience religieuse. On s’étonne en revanche de lire sous la plume de frères chrétiens des accusations gratuites : « intégriste », « adversaires du pape François », « Anti-Vatican II ». N’a-t-on pas vu une tribune sur le site de La Croix affirmer que l’admiration du « passé catholique » par ces écrivains irait forcément naviguer dans les eaux d’un Maurras, voire d’un Éric Zemmour ?

Gardons-nous donc de la tentation puritaine. Prenons au sérieux l’enseignement de Vatican II : « L’Église fait route avec l’humanité et partage le sort terrestre du monde. (2) » Gustave Thibon nous y invitait déjà, lui qui affirmait que partout où le christianisme s’était implanté il y avait eu « alliage » : « Refuser l’alliage, refuser l’ambiguïté, c’est refuser la vie, c’est refuser les contradictions qui sont inhérentes à ce monde, et qui ne se dénouent que dans l’Éternel. » Dialoguer avec le monde de la culture revient à prendre le risque de cet alliage, celui-là même couru par Jésus prenant notre chair.

Dialoguer n’est pas approuver tout ce que dit l’interlocuteur. Mais « dans le dialogue on découvre combien sont divers les chemins qui conduisent à la lumière de la foi » (Paul VI).

Nombreux sont ceux qui vivent loin du point d’impact où Dieu a touché la terre. Avec ces hommes placés aux périphéries de l’onde de choc, le pape François nous invite à dialoguer. Nous croyons que l’enjeu est vital.

(1) Benoît XVI, Deus caritas est, 1.

(2) Concile Vatican II, Gaudium et spes, 40.

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