Partager cet article

L'Eglise : L'Eglise en France

Homélie des obsèques de Pierre Le Morvan

Homélie des obsèques de Pierre Le Morvan

Homélie des funérailles de Pierre Le Morvan, prononcée par le père Louis-Marie de Blignières, prieur de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier, le 7 janvier :

Chère Françoise, chers amis,

Je réfléchissais aux paroles que je vous adresserais en cette messe de funérailles. Je relisais les textes de la liturgie des défunts. J’ai été touché par le contraste entre notre douleur… et le caractère apaisant des textes de la liturgie. Devant le Saint-Sacrement, une pensée s’est imposée à moi, que je déclinerai en deux facettes. D’abord, il y a un « miracle chrétien ». Ensuite, la vie et la mort du juste est une « entrée dans ce miracle ».

  1. Il y a un « miracle chrétien »

À la mort d’un proche, le drame déchirant de l’existence humaine atteint son paroxysme. Notre vie, comme celle du défunt, a sans doute déjà traversé le pays de la souffrance. Elle a connu la poignante tristesse d’êtres chers disparus, la brûlure de trahisons, l’angoisse du devenir de ceux que nous aimons. Elle a traversé le brouillard des matins de maladie, les jours gris des causes perdues, les soirs de nostalgie des mondes disparus. Mais la mort d’un proche porte la morsure de notre âme à un degré indicible. Un être spirituel, tendrement chéri, un être dont le sourire était plein d’éternité et dont le regard brillait d’un mystère de sagesse complice, un être qui était devenu au fil des années une part de notre âme… comment serait-il disparu pour toujours ?

La mort est l’ouverture d’une porte béante : celle de l’absurde. Par la mort, le chagrin, les pleurs, la blessure inguérissable de l’absence élisent domicile en notre cœur. Ceux qui n’ont pas ouvert (encore) l’œil de la foi ne voient que la noirceur du deuil. Et ils n’ont pas totalement tort : c’est une partie du réel ! Mais est-ce le tout ? Non ! Écoutez, ami incroyant, la douceur de la mélodie grégorienne, qui semble venir d’un autre monde. Laissez-vous saisir par la beauté de ces harmonies pour lesquelles Mozart aurait donné toute son œuvre. Simone Weil ne disait-elle pas : « Une mélodie grégorienne témoigne autant que la mort d’un martyr » ? Relisez les paroles du canon de la messe romaine et le propre de la messe des défunts. Au milieu de notre cœur dévasté, elles font résonner des mots étonnants : « lieu de rafraichissement, de lumière et de paix ; lumière perpétuelle ; joies éternelles ; consolation mutuelle ; béatitude d’une lumière sans fin ; ange porte-étendard qui introduit dans la sainte lumière ; anges qui introduisent au paradis ». Cela aussi, c’est réel. La paix des âmes devant la mort, une paix profonde comme l’océan du mystère de Dieu, une paix qui n’est ni le raidissement volontariste du stoïcisme, ni le déni de réel du matérialisme moderne, ni l’illusion métaphysique du bouddhisme, cela existe ! C’est le « miracle chrétien ».

Le « miracle chrétien », qu’est-ce donc ? C’est le passage d’une sombre confrontation avec l’absurde… à une victoire de la vie, lumineuse et totale ! Oui, il y a une originalité absolue du christianisme : il se présente comme la seule religion qui s’affronte à tout le réel. La seule religion qui prend la mesure de toute souffrance… et de la mort elle-même. La seule religion qui dévoile pleinement le mystère d’iniquité, source du mal : le péché. La seule religion qui dresse sur le monde une machine (l’image est dans saint Ignace d’Antioche) à broyer l’absurde et à le transformer en lumière : la Croix du Christ. Étonnante machine à broyer le mal ! Elle ouvre la porte de la résurrection aux hommes arrachés à l’enfer de l’absurde. « Sang sur la neige. Un innocent qui souffre répand sur le mal la lumière du salut » (Simone Weil).

Le miracle chrétien, c’est un poignant clair-obscur. L’Artiste divin a dessiné, avec le Sang de son Fils, la lumière de la Vie sur le fond des ténèbres angoissantes du mal. Notre regard est guidé par le génie de l’Artiste : du sombre réel qui fait pleurer… au réel de lumière, le réel définitif, qui dilate dans la stupéfaction de la victoire : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 19, 24) !

  1. La vie et la mort du juste est une entrée dans ce miracle

Comment entrer dans ce miracle ? Par l’union à Celui qui en est la source. Notre union au mystère pascal du Christ n’élimine pas la souffrance des hommes, mais elle l’illumine de l’intérieur. Le Christ est le Verbe incarné, il nous touche par la voix de la Vérité, par le contact des sacrements, par la charité de son Église. Et chaque chrétien entre, à sa façon propre, dans ces médiations fondamentales, en fonction de son histoire, de ses qualités et de ses goûts naturels. Sa trajectoire s’enracine dans l’histoire du salut avec ses propres inflexions.

Il me semble que, pour Pierre, on peut parler d’honneur de la Vérité, de noble sensibilité (sacramentelle et artistique) et de catholicité de l’agir.

Honneur de la Vérité

Le Sauveur est le Verbe, la Vérité. C’est d’abord comme Vérité que son mystère atteint les hommes. « Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien car je le suis » (Mt 23, 8). Le Christ est d’abord une Voix. C’est la Vérité qui est la forme fondamentale de sa royauté : « Je suis venu en ce monde pour rendre témoignage à la Vérité. Quiconque est de la Vérité écoute ma voix » (Jn 18, 37). Pierre a entendu sa voix, parce qu’au fond de son âme il y avait un sentiment délicat : l’amour du vrai. Il a donné noblement carrière à ce sentiment en une époque où il est peu prisé. Il a vécu en un temps de tyrannie relativiste dans la société, de déconstruction dans l’université, de primat du pastoral chez trop de pasteurs d’âmes. On peut dire qu’il n’a cessé, durant plus d’un demi-siècle, d’honorer ce sentiment et d’approfondir sa connaissance du mystère du Christ et de son rayonnement sur la cité.

Il l’a fait avec courage, sans fuir cet aspect de la Vérité qui est trop mis sous le boisseau par nos contemporains : la haine des erreurs qui fourvoient les hommes (surtout les plus humbles), et le combat contre ces erreurs dans le respect des personnes. La fondation du MJCF (il me disait que, sans lui, il ne saurait pas où il serait aujourd’hui), le travail aux Éditions de la Nouvelle Aurore, la fondation du Centre Henri et André Charlier et celle de Chrétienté-Solidarité, celle de l’AGRIF et du quotidien Présent, la participation aux Compagnons d’Itinéraires, le travail avec l’Office International de la rue des Renaudes, la participation au pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté, le soutien à Laissez-les-vivre et SOS-Tout-Petits, la présidence de l’Association des Amis de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier…

Est-ce un tempérament d’activiste qui rend compte de cette impressionnante série d’engagements ? Non ! Le fil d’or de cette vie, c’est la charité de la Vérité. C’est la conscience aigüe du primat de la doctrine, jointe à une inventivité généreuse et combative, fruit de son sens de l’honneur.

Noble sensibilité sacramentelle et artistique

Le « miracle chrétien » du mystère pascal nous atteint d’abord par la voix de la Vérité. Ensuite il nous touche par le septenaire sacramentel et les incarnations concrètes de la beauté de Dieu. C’est le côté bouleversant de l’incarnation, qui fait le fond du réalisme chrétien, et qui échappe si largement aux protestants et aux modernistes. Le Christ, pour faire de nous d’autres christs, nous touche « physiquement » par le baptême, la confirmation et l’eucharistie. Ces « mystères sacramentels » ont été révélés par lui, notre Sauveur. Et ils nous atteignent par l’Église, qui entoure les paroles du Sauveur de rites et de cérémonies, de mouvements et de chants, qui les rendront les plus efficientes possibles. On peut dire en ce sens que la liturgie, c’est « la Vérité rendue sensible ». Pierre a été façonné par les sacrements, il a été fidèle à leur grâce. Notamment à celle du sacrement de mariage, qui lui a donné une telle force dans l’aide à sa chère épouse et pour l’éducation de ses enfants.

Il a aussi été profondément sensible à la beauté de la liturgie latine. Son âme de catholique, plein de piété filiale vis-à-vis de « l’être historique de l’Église », lui a fait aimer passionnément ce que notre Mère l’Église nous a légué, et qui constitue un patrimoine indisponible de l’Église latine.

Cela explique son engagement, fort et sage, dans cinquante ans de « combats traditionalistes ». Ces combats ont connu des épisodes musclés comme l’occupation de deux églises. Ils ont revêtu la forme de soutien aux publicistes catholiques comme Jean Madiran, aux pèlerinages de Chartres et de Vivières, et aux Instituts qui inscrivaient dans la durée ces trésors incomparables. On peut dire que c’est grâce à Pierre et à ses semblables que des richesses liturgiques inestimables pour la foi et l’art ont continué et continueront. C’est émouvant pour moi de remarquer que Dieu l’a rappelé à lui si peu de jours après Benoît XVI.

La noble sensibilité de Pierre s’est exprimée aussi de deux autres manières. D’une façon artistique, par sa participation au Chœur Montjoie-Saint-Denis fondé par son très cher ami Jacques Arnould. Elle lui a permis de faire entendre sa voix superbe dans un ensemble sans complexe d’identité, qui met en valeur le patrimoine catholique et français dans divers registres. Et, d’une façon culturelle, par son immense érudition historique et son amour de la chrétienté. Que sont finalement les pays de chrétienté ? Des écrins bâtis autour de la célébration de la Sainte Messe. Des prolongations du mystère de l’incarnation, enracinées dans la « geste » de peuples christianisés, qui chantent le Christ avec leur voix. Et aussi qui défendent les petits avec leurs armes si c’est nécessaire. Si Pierre a aimé des écrivains comme Péguy, Bernanos, La Varende ou Jean de Viguerie, c’est qu’en lui résonnait la beauté de cette « geste » du Christ vécue par des peuples qui l’aiment.

L’amour de la chrétienté, chez Pierre, s’est exprimé en certains actes d’un héroïsme discret. C’est ainsi qu’il a compromis durablement sa santé dans le combat pour la vie. Lors d’une campagne contre l’avortement, il a passé des jours et des nuits dans un local insalubre à imprimer les tracts de la campagne contre le meurtre des tout-petits. Son courage a eu l’élégance de la discrétion, car il était une âme chevaleresque.

Catholicité de l’agir

Le mystère pascal nous fait entrer dans le miracle chrétien par la charité de son Église. C’est un aspect d’une souveraine importance, car la vraie charité dans l’unité de l’Église est présentée par Jésus comme le signe apologétique fondamental. « Afin que tous soient un […] de façon que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21). Oui, le miracle du passage de l’absurde du péché à la victoire du Christ se fait dans la chaude lumière de l’agapè, dans la charité en tant qu’elle fait l’unité de l’Église. Un catholique, comme le nom l’indique, est le contraire d’un homme de parti. Ce n’est pas un sectaire qui vous soûle avec ses arguments pour prouver qu’il a raison.

Je peux témoigner que la conversation avec Pierre était très enrichissante. Car il savait écouter. Il n’abusait pas de son incroyable savoir pour vous assommer. Il avait le sens des nuances et de l’attitude convenable. Il avait cette marque de la vraie intelligence qui est de comprendre les difficultés. Et la marque de la vraie catholicité qui est de toujours agir comme une « partie de l’Église ». Il savait que le Christ a fondé une Église où la communion hiérarchique avec les pasteurs légitimes fait partie du dépôt de la foi. Il avait conscience qu’il y a un vrai danger du « primat du pastoral » à la sauce traditionaliste, où on dit : « Je me fiche des controverses théologiques. J’ai besoin des sacrements tradis, un point c’est tout. »

Pierre était un vrai combattant et le contraire d’un sectaire, qui simplifie les questions à cause du primat d’une efficacité supposée. Il me disait : « En fait, c’est nous qui menons le combat pour la tradition, et non ceux qui se retirent du périmètre visible de l’Église ». Oui, là aussi, il était un vrai noble, c’est-à-dire quelqu’un qui sait « qu’il a plus de devoirs que de droits dans toutes les circonstances de sa vie » (Kéraly). Il avait, quoi qu’il en coûte, la catholicité de l’agir qui ouvre sûrement aux grâces de lucidité et de persévérance.

Conclusion

Chère Françoise, chers amis, Pierre, par sa vie et sa mort, est entré dans le « miracle chrétien ». Est-ce que sa voix singulière s’est tue à jamais ? Non ! Elle résonnera, de façon unique, lorsqu’il entrera dans le Paradis (nous allons prier les anges pour cela), comme on entre dans un concert où chacun a une partition singulière. Comme Dieu connaît toutes les étoiles du firmament et les a faites pour la beauté de l’ensemble du cosmos, il a fait chacun des anges et chacun des hommes pour une mission singulière, unique, irremplaçable. « Je t’ai appelé par ton nom » (Is 45, 4). Il a fait Pierre pour une mission singulière. Mais Pierre lui-même n’en a connu ici-bas qu’une partie. Elle lui sera pleinement dévoilée lorsque, comme nous le demandons à Dieu, il sera admis dans le concert des élus. Là, il recevra son nom d’éternité (Ap 2, 17) dont nous avons deviné quelques-uns des beaux reflets.

Fr. L.-M. de Blignières, prieur de la FSVF

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services