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Histoire du christianisme

Faut-il commémorer Lépante ?

Faut-il commémorer Lépante ?

De Cécile Francfort, pour le Salon beige:

Le 7 octobre est dans la liturgie catholique la fête de Notre Dame du Rosaire, née de la victoire des forces chrétiennes de la Sainte Ligue, unifiées par le Pape, à la bataille de Lépante (côte grecque), contre les armées du calife ottoman, supérieures en nombre. Cette année 2021 correspond au 450e anniversaire de cette victoire. 450 ans plus tard, faut-il la célébrer ? Notre vision contemporaine du catholicisme, moins civilisationnelle de la foi chrétienne, apparaît spontanément frileuse quant à cette idée, gênée par l’aspect guerrier de l’événement commémoré. Pourtant, la victoire de Lépante, inscrite dans l’Histoire de l’Eglise et dans sa liturgie, mérite d’être méditée et de susciter des actions de grâce.

Si le contexte est délicat, dans une Europe qui se sécularise rapidement et qui connait une part de plus en plus importante de musulmans, cette bataille menée par la chrétienté a une actualité plus forte qu’il y a 50 ans, dans le contexte de l’agressivité de la Turquie d’Erdogan vis-à-vis de l’Europe. En 1965, le Pape Paul VI choisit de redonner à la Turquie le drapeau ottoman ceint d’inscriptions islamiques gagné par les forces chrétiennes. « Entrant, à Notre tour, dans les vues de [Jean XXIII], Nous avons eu le souci de développer et de renforcer ces relations [avec ce Pays turc]. C’est ce qui Nous inspira, entre autres, vous le savez, l’idée de restituer au Gouvernement turc l’étendard conservé à Rome depuis les temps lointains de la bataille de Lépante; geste qu’il Nous fut très agréable d’accomplir, pour attester de façon publique que les dissensions du passé étaient bien mortes [sic] et que Nous n’avions rien tant à cœur que d’être, pour tous les peuples, un messager de paix, et d’entretenir notamment avec le vôtre des relations empreintes de la plus sincère et de la plus cordiale amitié » dit le Pape en 1967 à Istanbul. Or, cette foi en un dépassement des clivages fait désormais figure de chimère révolue. En 1974, Chypre, déjà point de départ à la préparation de Lépante, est envahi par la Turquie. La transformation en mosquée en 2020 de Sainte Sophie, redonnée au début du siècle à l’Humanité comme musée, illustre le revirement belliqueux des chefs de cette nation, appuyant à nouveau sa soif de domination sur l’islamisation et les velléités de conquêtes.

Face à ces tentatives islamisantes de mobiliser un passé ottoman de conquête glorifié, mettre en avant les résistances légitimes des peuples menacés est un contrepoids nécessaire.

Pour les chrétiens, Lépante apparaît comme un exemple de guerre juste, défensive, à qui est associée la gloire d’être menée pour la cause de l’Eglise, par un Saint, le Pape Pie V, grand réformateur de l’Eglise.

Elle est menée contre un Empire régnant par la violence et la terreur suscitée, basé sur la prédation, les raids, la mise en esclavage, les conversions forcées. Jacques Ellul, dans La subversion du christianisme, montre à quel point l’esclavage et la colonisation auxquels s’est livrée la civilisation européenne, hors de ses principes, avait été le fruit de l’imitation des empires musulmans, florissants et maîtres en ces domaines.

Un exemple de la brutalité que valorise l’impérialisme ottoman est le sort du gouverneur vénitien de Chypre Marcantonio Bragadin. Après un an de résistance face à l’invasion de son île par les Ottomans, celui-ci accepte de signer en 1571 un traité de reddition après une promesse de vie sauve pour ses hommes ; revenant sur sa parole, le commandant Lala Mustafa le torture longuement et finit par l’écorcher vivant devant son église de Famagouste transformée en mosquée – depuis la seconde invasion de Chypre, elle est à nouveau mosquée et porte le nom du conquérant tortionnaire. Plus que la mise à mort d’une cruauté rare et contraire aux lois de la guerre, l’exhibition de la tête et de la peau de Bragadin sur les navires de Lala Mustafa à son retour à Istanbul, comme motif de fierté pour l’Empire, montre une glorification de la violence contre le vaincu singulière, une différence de conception même pour les mœurs occidentales de l’époque. Au contraire, quand les armées de la Sainte Ligue – comptant dans ses rangs des frères de Marcantonio Bragadin, apprennent le sort atroce du commandant, c’est la résistance d’un homme qui n’a pas renié sa foi jusqu’à la mort qui galvanise les esprits, et pousse les chrétiens à diffuser son histoire dans les grandes langues de la chrétienté.

Les armées de Lépante se composent de personnages haut en couleur, du vieux chef têtu qu’est le doge vénitien Vénier à l’écrivain Cervantes, et ont à leur tête des hommes de foi. Le Pape, chef d’une lucidité hors du commun, fut capable de pousser les Etats chrétiens à dépasser leurs intérêts particuliers, pour non seulement le bien commun de la chrétienté mais aussi celui de ces Nations particulières, qui, telle l’Inde de tradition hindou morcelée par les incursions des Moghols musulmans, auraient finies par être chacune menacée par l’expansionnisme islamique.

La figure flamboyante de Don Juan d’Autriche, choisi par le Pape pour mener les armées, mérite d’être davantage connue. Ce fils bâtard de Charles Quint a vécu une vie fulgurante de guerrier et de chrétien. Ce « héros de roman » a suscité l’enthousiasme des foules, pour ses qualités d’âme et de corps. « Valeureux comme Scipion, héroïque comme Pompée, fortuné comme Auguste, un nouveau Moïse, un nouveau Gédéon, Samson et David, mais sans leurs défauts », le décrit le Pape Grégoire XIII à sa mort. Après la bataille de Lépante, il se rendit tête nue en pèlerinage à Lorette, persuadé que la Vierge lui avait sauvé la vie. Honnête homme animé d’une foi profonde, il mit en pratique les conseils que lui donna son demi-frère le Roi Philippe II d’Espagne : « Soyez très pieux, bon chrétien, et craignez Dieu non seulement en réalité et essence, mais encore ouvertement, donnant ainsi à tous le bon exemple. » Ou encore : « Vivez et agissez avec le plus grand souci de votre pureté, car pécher contre la chasteté n’est pas seulement pécher contre Dieu, mais cela entraîne aussi beaucoup de maux et cela fait tort aux affaires et au devoir. ». Le triomphe de Don Juan à Lépante, bataille auquel il avait préparé ses hommes non seulement militairement mais aussi spirituellement, encourageant messes, confessions, prières, portant lui-même des reliques et la bannière du Christ, en fut l’aboutissement le plus éclatant.

Si depuis 1950, il est de bon ton, comme pour Poitiers, de relativiser l’importance de l’impact de la bataille de Lépante – comme l’avait fait logiquement dans leurs paroles les Ottomans eux-mêmes pour minorer leur défaite, elle est aujourd’hui considérée comme le coup d’arrêt à l’expansionnisme ottoman en Méditerranée. Surtout, est reconnu son impact psychologique sur les peuples chrétiens, libérés du mythe de l’invincibilité de l’Empire Ottoman sur les mers, libérés de la peur associée à ce nom. Les chrétiens ont perçu la victoire comme un don du Ciel et en particulier de la Vierge Marie. Pourquoi faudrait-il cacher honteusement cette mémoire glorieuse, à contextualiser dans une période historique où la chrétienté a eu à opposer la force pour défendre sa foi, qui est à l’origine de l’ajout dans la litanie de la Vierge de la prière « Secours des chrétiens, priez pour nous » ?

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4 commentaires

  1. Ne serait-il pas plus simple de la retirer des manuels scolaires d’histoire ( si elle y est encore mentionnée) pour éviter de froisser la culture de certains élèves ?

  2. Bel article. Merci. Oui pour commémorer. Mais par qui ? Par le pape-antipape qui ramène au Vatican des musulmans de l’île qu’il visite au lieu de ramener des chrétiens ? Loin d’être une grenouille de bénitier, Zemmour serait capable de commémorer, c’est un bon défenseur d’un catholicisme qui produit des bons citoyens pour la patrie.

  3. Ouf ! En lisant le titre, j’ai eu peur que la réponse soit “non” ! Il n’en est rien, heureusement. Célébrons avec enthousiasme et ferveur cette victoire sur la barbarie islamique et prions pour que la Sainte Vierge nous aide à surmonter les difficultés actuelles comme elle le fit pour nos ancêtres.

  4. c’était un temps où le pape défendait les chrétiens
    c’était un temps où les élites défendaient leurs peuples

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