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Faillite de l’école : “Nous assistons à une véritable tyrannie du «ludique»”

XVM8fd3b2a2-39f3-11e6-9ee2-5fdb7188b0a3Un Grand Entretien du Figarovox donne la parole à Bérénice Levet, docteur en philosophie et professeur de philosophie à l'Ecole Polytechnique et au Centre Sèvres ; elle décrit très bien le processus de destruction de l'école amorcé depuis quelques décennies, et parachevé par Najat Vallaud-Belkacem. Extraits :

"FIGAROVOX. – A partir de la rentrée 2017, les écoles hors contrat seront soumises à un régime d'autorisation et de contrôle a priori en lieu et place du régime de déclaration. Présentée par le ministre de l'Education nationale pour lutter contre la radicalisation, cette réforme ne risque-t-elle pas de porter atteinte à la liberté d'enseignement et d'entraver d'abord les initiatives pédagogiques de certains établissements – comme les écoles du réseau Espérance Banlieues ou la Fondation pour l'Ecole d'Anne Coffinier – qui cherchent à lutter contre la crise de l'Ecole républicaine? A force de ne pas nommer les maux de notre société, ne risquons-nous pas de détruire ce qui tient encore debout en se trompant de cible?

Bérénice Levet. – C'est une grande supercherie. Personne n'est dupe. La ministre dit s'inquiéter du niveau d'instruction des élèves inscrits dans ces établissements hors contrat, de la «pauvreté des savoirs» qui leur sont dispensés, du déficit de culture générale. Elle est tout simplement grotesque. Nos enfants sortent ignorants des écoles de l'Education nationale, ce qui ne semble guère la tourmenter. Elle prétend par ailleurs s'être saisie de cette question pressée par des élus locaux, des citoyens préoccupés de voir proliférer dans leurs quartiers, dans leurs communes, des écoles musulmanes salafistes – le danger est bien réel et exige une vigilance extrême mais les moyens de les repérer existent déjà et, de toute façon, quelles seront les suites? On se contentera, comme pour les mosquées salafistes, de les avoir identifiées… Si le savoir et la radicalisation des esprits hantaient réellement la ministre, elle renoncerait à sa réforme du collège qui parachève, nous y reviendrons, la destruction de l'école comme lieu de transmission du savoir et de formation les esprits pour lui substituer un grand centre d'animations ludiques.

L'enjeu de ce projet est ailleurs. La ministre est résolue à faire rentrer les réfractaires dans le rang.

Elle s'alarme d' «une augmentation importante du nombre d'élèves scolarisés dans des établissements privés hors contrat du premier degré» mais elle ne s'interroge pas un instant sur les raisons de cette fuite loin des collèges publics ou privés sous contrat. Or, les réseaux alternatifs prospèrent sur la démission, la faillite de l'Education nationale. Et l'on peut être assuré qu'avec la réforme du collège qui doit entrer en vigueur en septembre 2016, le processus n'ira que s'accélérant, sauf naturellement si le ministère parvient à en interdire l'ouverture. […]

Pour lutter contre les «décrocheurs», ces élèves qui quittent l'école sans diplôme ou qualification, le Plan Valls pour les jeunes prévoit que les lycéens boursiers de 16 à 18 ans qui reprendront leurs études recevront une prime de 600 euros. N'est-ce pas un couteux emplâtre sur une jambe de bois? Les décrocheurs ne sont-ils pas le symptôme d'un décrochage beaucoup plus large du système éducatif dans son ensemble?

J'ignore si cette mesure sera coûteuse ou non mais je la tiens pour extrêmement dégradante et pour Manuel Valls qui la propose et pour la jeunesse à laquelle elle est destinée.

La proposition de Manuel Valls est en parfaite cohérence avec la logique utilitariste et consumériste qui a investi l'école ces dernières années. Les politiques, les professeurs, les chefs d'établissement, les journalistes ont les yeux rivés sur le classement PISA qui émane de l'OCDE, les critères d'évaluation sont donc économiques. L'école n'est d'ailleurs plus le lieu de la transmission des savoirs, mais de l'acquisition des «compétences» – la substitution est éloquente: on rappellera que les DRH et autres spécialistes préconisent d'ouvrir son Curriculum Vitae par une rubrique précisément intitulée «compétences» . On ne forme plus à l'école des êtres capables de penser, de juger, mais des spécialistes de la solution des problèmes, de bons techniciens.

L'homme y est réduit à un agent économique. Nul n'envisage d'éperonner chez ces jeunes gens plutôt que la passion de l'argent, la passion de comprendre, d'explorer la condition humaine, tous ont renoncé à leur faire découvrir la jouissance d'avoir les mots pour dire les choses… […]

Un peu plus de quatre ans après l'élection de François Hollande, que reste-t-il de la priorité accordée aux jeunes? Que restera-t-il en particulier de la philosophie et de l'action de Najat Vallaud-Belkacem rue de Grenelle?

Si accorder la priorité à la jeunesse, c'est se soumettre à ces prétendues attentes, l'encapsuler dans «son» monde, dans «sa» culture ainsi qu'on le fait depuis les années Mitterrand/Lang, si lui donner la priorité, c'est confier au rappeur Black M la commémoration du centenaire de Verdun, ou laisser la jeunesse déferler entre les tombes de la nécropole de Douaumont [Robert Redeker , «Nous n'étions plus à Douaumont mais à Verdun Pride»] , alors François Hollande n'aura pas failli à sa promesse.

Mais si l'on se fait une idée plus noble de la jeunesse alors on peut conclure à son immolation, au regard précisément de l'école qu'il laissera derrière lui.

La réforme du collège qui entrera en vigueur en septembre parachève la transformation de l'école comme instance de transmission – je dis «parachève» car le processus était déjà bien avancé – en centre d'animations et celle des professeurs en gentils organisateurs d'activités culturelles et «ludiques». Nous assistons une véritable tyrannie du «ludique» qui s'exerce dans tous les domaines de la culture, de la science.

La ruse de la ministre a été d'entremêler dans un même projet une réforme des programmes et une refonte du collège, de ses pratiques d'enseignement et de son organisation pédagogique. Or, c'est ce second volet qui est le plus décisif.

La philosophie, pour reprendre votre terme, de Najat Vallaud-Belkacem, sa volonté d'abolir l'école comme instance de transmission des savoirs, s'incarne dans l'instauration des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires. L'argumentaire qui les justifie est totalement fallacieux: il s'agirait de permettre aux élèves de faire travailler les connaissances acquises, mais la possibilité même d'acquérir des connaissances est définitivement hypothéquée par cette nouvelle organisation.

En quoi consisteront ces EPI? En activités pratiques, créatives qui associeront plusieurs disciplines où l'élève sera toujours en orbite, avec un professeur qui supervisera les activités, s'autorisera à l'occasion à distiller quelques bribes de son savoir. Mai 68 avait eu raison de l'estrade mais le dispositif scénique de la classe maintenait la séparation du maître et de ses élèves. Désormais, il sera parmi eux, soit leur parfait égal. Or, «abolir la transcendance du maître» disait Maurice Blanchot, c'est détruire les conditions mêmes de la transmission. L'asymétrie qui s'incarne dans l'espace renvoie à la polarité temporelle qui sépare l'élève du maître – le professeur est le représentant d'un monde vieux, qui précède et excède l'enfant. […]

Il y a presque vingt ans, en juin 1997, Claude Allègre proposait de «dégraisser le mammouth». Le ministère de l'Education nationale est-il encore réformable ou, paralysée par la rencontre de crispations idéologiques et de préservation d'intérêts particuliers, faut-il attendre qu'il implose pour «refonder l'Ecole», formule qui fut utilisée par tant de ministres successifs?

[…]Si le mot refondation a un sens, il implique de s'interroger sur les bases, les fondements de l'école et donc ses finalités. Il conviendrait de toute urgence d'instaurer des états généraux de l'école. Une seule question devrait aujourd'hui nous requérir: pour quoi l'école? l'école pour quoi faire? Quels sujets voulons-nous former dans les écoles de la République: des agents économiques, des êtres compétitifs sur le marché du travail, ainsi que nous y enjoint le rapport PISA? Des hommes cultivés, capables d'une pensée argumentée et d'un jugement autonome? Des citoyens c'est-à-dire des êtres «ouverts à une responsabilité», selon la belle définition de Vaclav Havel? Voulons-nous une école qui renoue avec sa mission d'intégration et d'assimilation et travaille, par la transmission de l'héritage, à refabriquer des Français, qu'ils soient de souche ou non, car après quarante-cinq années d'éducation progressiste, tout est à rebâtir?

L'instauration de tels états généraux est nécessaire, et l'on aurait pu penser que les attentats islamistes qui nous ont frappés en 2015 y inciteraient, voire les imposeraient. Au lendemain des tueries de janvier, lorsque l'identité des terroristes fut connue, que l'on apprit qu'ils avaient été scolarisés dans nos établissements, l'école se trouva au centre des questions mais tout continua comme avant. Le président de la République décréta une «grande mobilisation de l'Ecole pour les valeurs de la République», quand il eût fallu décider d'une grande mobilisation en faveur de l'instruction. Il encouragea la multiplication des débats au sein des classes, quand il n'y aurait rien de plus urgent que de faire taire les élèves. A leur donner la parole sans cesse, on les entretient dans l'illusion qu'ils pensent. Or, pour penser, il faut posséder la langue, une langue qui se cultive au contact de la littérature. Et c'est précisément la mission de l'école que de leur apprendre à former, élaborer une pensée articulée, argumentée. […]

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