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Immigration

Est-ce que l’immigration favorise l’émigration des natifs ?

Est-ce que l’immigration favorise l’émigration des natifs ?

Michèle Tribalat recense le livre de Paul Collier, paru en 2013 et dont la traduction en français vient de paraître. Extraits :

C’est un livre qui examine minutieusement la question migratoire sous l’angle des trois protagonistes que sont les pays d’accueil, les migrants eux-mêmes et les pays d’origine, la partie la plus consistante de l’ouvrage étant celle consacrée aux pays d’accueil. Ce livre se termine sur des propositions visant à repenser la politique migratoire. Mais avant cela, dans la première partie de son ouvrage intitulée « Les questions et le processus », Paul Collier  aborde frontalement la question idéologique qui a fait de l’immigration un tabou dans nombre de pays d’accueil, tout en soulignant la nécessité d’en sortir. Il y explicite aussi pourquoi, laissée à elle-même, l’immigration va s’accélérer. […]

Les départs des pays pauvres sont motivés par les écarts de revenus, mais il faut disposer des moyens de partir. C’est un investissement qui se voit réduit par les diasporas déjà présentes dans les pays d’accueil. L’amélioration du niveau de vie dans les pays d’origine favorise la migration tant que les écarts de revenus entre pays riches et pauvres restent conséquents. Les migrations produisent des diasporas qui engendrent d’autres migrations. Ce qui compte pour définir une diaspora, ce n’est pas le pays de naissance, mais le nombre de personnes qui ont gardé des liens au pays d’origine avec des migrants potentiels et qui sont prêtes à les aider. Le taux d’absorption dans le pays d’accueil régule la taille de la diaspora. Laissés à eux-mêmes, ces mécanismes risquent de se traduire par une accélération des flux migratoires. Le seul frein qu’ils peuvent rencontrer réside dans la politique migratoire conduite par les pays d’accueil. Or, jusque-là, les décisions prises en la matière ont été « furtives et embarrassées » (p. 80). Un cercle vicieux s’est mis en place dans lequel les partis traditionnels, en désertant leurs responsabilités, ont ouvert un espace à des « brochettes d’hurluberlus : racistes, xénophobes et psychopathes [qui] ont attiré à eux des citoyens ordinaires de plus en plus inquiets du silence des partis traditionnels » (p. 81). Ce qui a renforcé la crainte de ces partis traditionnels de traiter la question. Si toutes les restrictions sont déclarées a priori illégitimes, alors les taux d’immigration à venir seront bien plus élevés que ceux connus au cours des dernières décennies.

[…] Paul Collier distingue quatre conceptions de l’immigration :

  1. des immigrants qui acceptent l’assimilation et même y aspirent ;
  2. des immigrants porteurs d’une fusion culturelle ;
  3. des immigrants désireux de réussir économiquement, tout en s’isolant de la société d’accueil ;
  4. des colons cherchant à propager leur culture.

L’assimilation, qui favorise la confiance et l’estime mutuelle, n’a guère le vent en poupe actuellement bien qu’elle soit éthiquement parfaitement fondée puisqu’elle respecte « la règle d’or qui veut que l’on traite autrui comme on voudrait qu’il nous traitât » (p. 144). Les mariages mixtes fabriquent des ancêtres communs.

Le multiculturalisme de fusion, dans lequel les cultures se combinent, accorde d’emblée une égale dignité aux nouveaux venus. Il a des conséquences voisines, à ceci près qu’il présente le risque potentiel de dégrader l’efficacité du modèle social du pays d’accueil. Par modèle social Paul Collier entend la combinaison des institutions, des règles, des normes et des structures propres à un pays. Le succès des pays riches repose sur un modèle social performant qui fait justement défaut dans les pays pauvres. Paul Collier nous invite à nous méfier des « assertions paresseuses du multiculturalisme : si l’on considère un niveau de vie décent comme un objectif prioritaire, alors toutes les cultures ne se valent pas » (p. 56).

Quant au multiculturalisme tel qu’envisagé par les élites politiques, il fait droit à la persistance d’un séparatisme culturel se manifestant par un entre-soi. Paul Collier pense que l’engouement des politiques européens pour le multiculturalisme est motivé par une sorte de pragmatisme face aux difficultés rencontrées dans l’intégration des minorités. Lorsqu’il compare la politique de la France et du Royaume-Uni à l’égard du voile islamique, il penche en faveur de la politique française qui juge le port du voile à l’école incompatible avec la fraternité et la laïcité alors que la politique britannique en a fait un enjeu de liberté individuelle. « La liberté  de détruire la coexistence fraternelle ne peut être considérée comme un droit humain » (p. 160).

Ce multiculturalisme est asymétrique puisqu’il accorde aux immigrés et à leurs descendants un entre-soi qu’il doit refuser aux autochtones pour éviter les pratiques discriminatoires. Le séparatisme spatial et culturel se combinent pour faciliter un séparatisme juridique, puis politique qui pourrait conduire à ce que des villes soient gouvernées par des partis d’immigrants, comme on le voit à Tower Hamlets, arrondissement londonien, que les élus cherchent à convertir en une municipalité à part entière. Lorsque les minorités ethniques votent comme les autochtones c’est un indicateur d’intégration qui évite la polarisation du système démocratique, avec des autochtones votant pour les partis non privilégiés par les minorités. Paul Collier en conclut que les grands partis devraient éviter de se différencier en matière de politique migratoire, sans pour autant ignorer la question. Sans nous dire comment résoudre la difficulté à conjuguer les deux.

Alors que les politiques d’intégration augmentent le taux d’absorption, les politiques multiculturelles le diminuent, accroissant ainsi la diaspora et le taux d’immigration.

CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES

Paul Collier passe en revue divers effets possibles.

En l’état, les effets sur les salaires seraient assez modestes, écrit Paul Collier, la plupart des autochtones y gagnant quand les plus pauvres y perdent. Mais les salaires de la plupart des autochtones baisseraient de manière spectaculaire en cas d’accélération des flux migratoires.

L’effet sur les logements est potentiellement plus important. L’immigration accroît la pression sur le parc de logements, mettant les familles immigrées en compétition avec les familles autochtones dans le logement social, avec un phénomène d’éviction si les premières sont les plus pauvres, mais aussi dans le logement privé. À Londres, si l’immigration a accru les opportunités des entreprises, elle a réduit la mobilité des autochtones qui ont du mal à s’y installer alors que les opportunités d’emploi y sont meilleures.

L’effet positif sur l’économie des immigrants exceptionnels peut lui-même être un problème en réduisant les aspirations des autochtones.

L’effet correcteur sur le vieillissement d’une immigration qui allègerait ainsi le fardeau des retraites dépend de l’employabilité des migrants. La conjonction d’un taux de dépendance élevé et d’une faible qualification des immigrants pourrait s’avérer intenable.

L’argument selon lequel l’immigration réduit les pénuries d’emploi néglige le fait qu’il s’agit là d’une solution de facilité qui désincite les pays d’accueil à mieux former et les entreprises à développer l’apprentissage.

Paul Collier termine l’examen des effets de l’immigration sur les pays d’accueil par une question qui est rarement posée : Est-ce que l’immigration favorise l’émigration des natifs ? Des pays européens connaissent à la fois une forte immigration d’étrangers et une forte émigration de nationaux, sans qu’on ait étudié les liens entre les deux phénomènes. Les politiques d’immigration massive amplifient les cycles d’expansion et de récession. On se souvient que le Portugal a promu une politique d’émigration pendant les années de crises après la décennie d’expansion 1997-2007. L’immigration des années d’expansion pourrait donc provoquer l’émigration d’autochtones dans les années de récession. Si le lien immigration-émigration se transformait en porte-tambour, « en puissant levier de recomposition de la population, il deviendrait certainement un sujet d’inquiétude générale » (p. 191).

L’enthousiasme des économistes pour l’immigration correspond plus au modèle du travailleur invité tel qu’on le pratique à Dubaï, politique difficilement envisageable dans les démocraties libérales. […]

QU’EN EST-ILS DE CEUX QUI RESTENT AU PAYS

Les effets sur la gouvernance ne sont pas univoques et difficiles à établir. Normalement, les émigrés se familiarisent avec des normes sociales qui pourraient être bénéfiques à leur pays d’origine où elles sont dysfonctionnelles. Mais les diasporas peuvent jouer un rôle subversif néfaste (Lénine en Suisse ou Khomeiny en France).

Les effets économiques sur les pays de départ sont eux-aussi variés et antagoniques au fil du processus migratoire. Comme ce sont les mieux éduqués qui partent, au début, l’émigration représente donc une perte sèche. Mais, leur réussite peut inciter les familles à investir dans l’éducation des enfants et favorise l’émulation. Tout dépend, au final de la taille du pays. Les petits pays comme Haïti sont les grands perdants des migrations, alors que des pays comme la Chine y gagnent, notamment lorsque des Chinois éduqués à l’étranger reviennent au pays. Par ailleurs, l’éducation n’est pas suffisante à propager la coopération nécessaire pour stimuler la productivité, comme on le voit dans certains pays africains où la corruption à la tête de l’État favorise les comportements opportunistes en cascade dans les institutions.

Quant aux envois de fonds, très variables selon les pays (50 % des revenus des Sénégalais d’Espagne, mais 2 % des revenus des Turcs d’Allemagne), ils jouent le rôle d’une police d’assurance pour les familles, permettent certains investissements et, sans changer radicalement les choses, aident à lutter contre la pauvreté. Les politiques migratoires laxistes ne leur sont pas favorables car elles permettent aux familles de partir, asséchant ainsi le vivier des destinataires. […]

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1 commentaire

  1. en tout cas c’est valable pour beaucoup de membres de ma famille guyanaise.
    le pays est envahi depuis 50 ans environ par des vagues successives mais aujourd’hui les assistés du monde entier viennent profiter du manque de sérieux des zélites!
    le procureur de la république est intervenu l’autre jour à la télé pour expliquer que les squatteurs avaient des droits!
    les logements sociaux sont attribués en priorité aux étrangers , les locaux n’ont qu”à attendre puisqu’ils travaillent et ont des ressources (le smic pour la plupart)

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