Partager cet article

Culture

Entretien avec Henri Hude sur la guerre

Entretien avec Henri Hude sur la guerre

Le philosophe Henri Hude a récemment publié un livre intitulé Philosophie de la guerre. Nous l’avons interrogé:

Vous avez publié une Philosophie de la guerre. Peut-on réellement penser ce phénomène qui semble essentiellement violence et irrationalité ?

La guerre est un phénomène humain universel dans l’espace et dans le temps. Cela suffit sans doute à en faire un objet de pensée. La guerre est irrationnelle comme le sont le péché et ses suites. Mais le péché aussi à sa structure et ses raisons, qu’on peut étudier et connaître.

La guerre est un cas particulier du péché. Tout péché est irrationnel, contraire à la raison, car contraire à la loi naturelle de l’homme. Cette loi naturelle est la bonne foi et la philia, l’amitié sociale ; les règles de la guerre sont la ruse et la force meurtrière. Si la charité est la plus haute forme de la vertu, la guerre est probablement la plus claire essence du vice. La philosophie de la guerre participe donc à une difficulté philosophique et théologique plus générale, qui consiste à comprendre le mal, les problèmes qu’il pose, la permission dont il fait l’objet de la part de Dieu, qui est le Bien souverain…

La guerre est à mes yeux la preuve irréfutable du péché originel. Mais l’homme étant ce qu’il est, le pacifisme est aussi irrationnel, car il oblige moralement à se soumettre à tout agresseur, y compris au plus pervers. Penser la guerre utilement (pour l’éviter ou ne pas la perdre), c’est surtout savoir comment on peut raison garder dans ces conditions, et dans quelle mesure il convient de recourir à la force armée pour préserver l’essentiel du bien commun, national et universel, temporel et spirituel.

Penser la guerre sert profondément à sauver la paix. Peut-on dire que cette dernière est d’autant plus menacée aujourd’hui que très peu d’intellectuels s’intéressent à la guerre ?

On n’a pas besoin d’intellectuels. On a besoin de savants, de sages, de chefs prudents et de saints. Ce qui menace la paix se trouve d’abord dans le fond du cœur humain. Il y a paix quand le désir humain se porte prioritairement sur des biens qui se multiplient pour chacun quand on les partage. Tel est Dieu : « Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier. » Il y a paix quand le désir d’infini peut s’accomplir dans l’infini, et non dans le fini, sinon c’est la démesure et on se bat pour les richesses, le pouvoir et l’autorité. Il y a paix par l’Absolu, à condition d’éviter les guerres de religion.

C’est ainsi que la paix doit être assurée, d’abord par la culture, à la différence des animaux où la régulation de la violence relève des instincts. Si la culture est sage, elle est une culture de paix, qui pacifie et civilise. Malheureusement, il y a des cultures de guerre, qui aggravent la situation. C’est le cas de la culture humaniste occidentale moderne. La liberté est bien sûr une vérité et une valeur, mais placer la liberté-en-premier, comme font la modernité, ou encore la postmodernité, c’est fonder une culture de guerre, parce que le premier principe de la guerre, c’est (comme disait le maréchal Foch) conserver sa liberté d’action.

Vous me dites qu’on s’intéresse peu à la guerre. Soyons justes. Il y a des centres d’études pour la paix dans des universités, des écoles de guerre et des centres de recherches dans toutes les armées. On publie paraît chaque année bon nombre d’ouvrages sur la guerre, en histoire militaire, tactique, stratégie, droit international et humanitaire, sciences politiques. Voyez le catalogue des Editions Economica, notamment. Des politiques ou d’anciens généraux livrent leurs réflexions. On philosophe aussi : histoire des idées philosophiques sur la guerre, commentaires des classiques, Clausewitz et Sun Tzu, réflexions récurrentes sur la théorie de la guerre juste, sur la violence en général, le mal, la guerre sainte…

Je pense que des « intellectuels » occidentaux peuvent s’intéresser à la guerre avec les meilleures intentions du monde, mais qu’ils ne pacifieront rien, s’ils ne sortent pas d’une culture de liberté-en-premier. Il faut changer la clé de voûte de la civilisation, l’amitié sociale doit remplacer la liberté-en-premier. La raison est aussi un bien fondamental, mais le questionnement dans la confiance doit remplacer le « doute », autrement la raison sera une raison de guerre.

 

La guerre fait son retour en Europe. Et la réflexion sur le sujet n’est donc désormais plus purement théorique. Comment une philosophie de la guerre peut-elle nous aider à comprendre la guerre russo-ukrainienne, les motivations de chacun des ennemis, et ainsi préparer les discussions nécessaires à la paix?

La philosophie de la guerre, si elle est vraie (suffisamment), permet de comprendre la guerre en Ukraine, tout simplement parce qu’elle est permet de comprendre n’importe quelle guerre, passée, présente ou à venir. Sans concepts universels et adéquats, les faits sont un fouillis, et la pensée une construction sans rapport avec le réel. Mais pour comprendre une guerre particulière, une théorie générale, aussi bonne soit-elle, ne suffit pas. Il faut une solide connaissance des situations et des faits particuliers, et en plus un bon jugement pour faire l’aller et retour entre l’expérience et la théorie.

La prudence requiert de garder à l’esprit la place primordiale de la culture, surtout quand la guerre peut désormais détruire le genre humain. Dès qu’il en est ainsi, les solutions économiques, politiques ou militaires ne sont plus que des replâtrages. Pour sauver la paix, il faut faire choix d’un renouveau culturel fondamental sur ce que constitue une culture de paix, une raison de paix.

De plus, dès que « le monde n’est plus qu’un cercle trop étroit », il faut raisonner politiquement à partir du « grand jeu » pour le pouvoir mondial et pour l’autorité planétaire. Cette problématique mondiale valait déjà dès 1760, sans doute, mais elle s’est dramatisée, à cause de l’invention des bombes nucléaires. Ce progrès des armements pose au genre humain un énorme problème sécuritaire, dont certains croient que la solution se trouve dans l’unification politique de la planète. C’est ainsi que surgit le « projet Léviathan », qui pourtant n’est pas une solution rationnelle. Mais alors quelle est la solution, politique et culturelle, sans Léviathan ? C’est dans ce « grand jeu », transformé et dramatisé par cette problématique, qu’il faut voir la guerre en Ukraine.

Le danger de guerre totale est probablement plus grand qu’il ne fut jamais depuis 1945. L’équilibre de la terreur risque de laisser place au « déséquilibre de la terreur », à cause de l’évolution woke de la culture de l’Ouest postmoderne, qui rend ce dernier à la fois fragile comme un « snowflake » et donc dissuadeur peu crédible, mais aussi suicidaire et transgressif, et donc extrêmement inquiétant et imprévisible, cependant que de l’autre côté l’opposition aux délires wokes et aux ambitions impériales devient si passionnée, que la montée aux extrêmes plutôt que de les subir est pensable.

C’est ce « grand jeu » dramatisé qui se joue en Ukraine. Quels que soient les droits de cette nation, longtemps sans Etat, à disposer d’elle-même, sa diversité reste grande et ses limites, sur le terrain et dans les âmes, incertaines. Du point de vue de Washington, et peut-être aussi, mais moins nettement, de Moscou, elle n’est qu’un moyen et pas une fin, et le théâtre d’une guerre indirecte entre l’OTAN et la Russie, dont les enjeux sont clairs. Du côté russe, et chinois, la conservation de leur souveraineté et de leur propre culture, le refus de l’hégémonie US et le rejet de la culture occidentale postmoderne. Du côté Ouest, la mise au pas des rebelles à l’ordre mondial établi depuis 1945 et 1991. La Chine et la Russie doivent être au moins révolutionnées, au mieux scindées chacune en plusieurs États. Tout rapprochement entre l’Europe et la Russie doit aussi être écarté.

Un victoire relative des Russes en Ukraine est probable, mais cette défaite tactique des US constituerait déjà, par la division du continent, une victoire stratégique. Conduira-t-elle à une grande victoire politique ? Mon sentiment est que la modernité russo-chinoise est plus résiliente que la postmodernité US. Mais les US peuvent toujours espérer une divine surprise, l’effondrement des régimes adverses. Les Russes peuvent raisonnablement espérer voir craquer les régimes atlantistes en Europe, ce qui réduirait énormément les chances US de succès. Surtout, la fragilité psychique, l’irrationalité politique croissante et les polarisations sociales, induites aux USA par la culture postmoderne radicalisée, rendent à mon avis assez improbable un brillant succès de cette tentative de reprise en main de la planète.

Le régime libéralo-calviniste des Anglo-Saxons lutte donc pour sa survie, dans la mesure où la décomposition woke de sa culture lui en laisse encore l’énergie. Ce régime n’est en effet pas viable sans l’hégémonie, qui permet le règne du dollar, qui lui-même permet le financement de l’hégémonie et la préservation d’un certain consensus, malgré un très haut niveau d’inégalité. Le camp opposé lutte avec la même résolution. Je ne crois guère à des négociations, tant que l’usure de la Russie ne sera pas jugée suffisante. À ce moment-là, ou avant, s’ouvrira sans doute une phase chinoise de la guerre. Les deux camps risquent gros, car des deux côtés on espère que la défaite ferait tomber le régime ou provoquerait la révolution. Cette guerre peut donc marquer un tournant dans l’histoire du monde et de la civilisation, car si les US n’obtiennent pas une décision claire, c’en sera fini de la pax americana ; la survie de l’OTAN et de l’UE deviendra problématique et le modèle libéral-calviniste aura aussi du mal à survivre.

La montée aux extrêmes est donc possible, faute de médiations politiques audacieuses et de nouvel horizon civilisationnel reformant un consensus mondial. À plus long terme, le problème de la paix ne peut être résolu sans un changement culturel majeur, aussi aux USA. Autrement, quel que soit le vainqueur, la tentation du Léviathan, ayant déserté les États-Unis, renaîtra ailleurs et l’emportera peut-être, pour le plus grand malheur de l’humanité.

Philosophie de la guerre

 

Partager cet article

4 commentaires

  1. C’est une thèse tout à fait inacceptable. Déclarer ‘… la guerre est probablement la plus claire essence du vice.’ est inouï ! Certainement pas catholique. On a ici un mélange de tout qui est angoissant : s’il n’y avait pas de guerre, on serait en paix, c’est ça ? Le rêve de la paix par la culture !

    Je conseille plutôt de réfléchir à partir des ouvrages de G Guyon et JF Chemain sur ce sujet. Et tout simplement le recueil ‘La Paix intérieure des Nations’ des Papes sur le sujet.

    • “s’il n’y avait pas de guerre, on serait en paix” oui, c’est ça !

      S’il n’y avait ni guerre internationale, ni guerre civile, ni guerre latente, ni guerre qui ne dit pas son nom, … on serait en paix, du moins, une paix dont l’Homme est capable, avec tous les conflits cachés et les non-dits qu’elle comporte…

      Sinon, il y a toujours un bon prétexte, souvent faux, fallacieux pour faire la guerre…

      Exemple : Il faut chasser les nazis d’Ukraine… comme s’il n’y avait que des saints en Russie !

      • Je précise que la phrase que vous citez est le récit que nous vend H Hude, puisque vous n’avez pas compris…

        Pour le reste, il y a une notion de guerre juste développée par les politiques depuis les grecs puis les romains puis l’enseignement de l’Eglise. Il n’y a pas que la guerre défensive qui se ‘justifie’. Allez un peu étudier, notamment les auteurs que j’ai indiqués…

  2. Sauf si elle est défensive, s’il s’agit d’une résistance, la guerre sous toutes ses formes doit être condamnée. En ce moment, il y a l’agresseur russe qui doit l’être. S’il ne l’est pas, on verra bientôt la Chine envahir Taïwan puis les territoires français du Pacifique, la Turquie envahir la Syrie, etc.

    Ou alors, faisons aussi l’apologie de la violence en banlieue, de l’euthanasie, de l’avortement et de la peine de mort sous toutes ses formes et soyons cohérents.

Publier une réponse

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services