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L'Eglise : Vie de l'Eglise

En parcourant Traditionis custodes : une question de lectures

En parcourant Traditionis custodes : une question de lectures

De Cyril Farret d’Astiès :

En parcourant (voir ici et ) Traditionis custodes. Une question de lectures.

Poursuivant notre lecture interloquée et circonspecte du motu proprio Traditionis custodes que le pape François a cru devoir publier, nous relevons en son article 3 § 3. que « les lectures seront proclamées en langue vernaculaire. » Que cherche à nous dire le pape par cette norme qui est la seule préconisation proprement rituelle du document à l’endroit de la célébration encore tolérée de la liturgie traditionnelle ? Le Souverain Pontife pense-t-il qu’à la messe traditionnelle les lectures ne sont jamais lues en langue vulgaire ou veut-il interdire le chant des lectures dans la langue de l’Église et la proclamation solennelle qui en est faite ?

En rédigeant cet article, le pape semble imposer une pratique issue de la constitution sur la liturgie du concile Vatican II (n°54) qui n’offrait cependant (comme souvent) qu’une possibilité :

« On pourra donner la place qui convient à la langue du pays dans les messes célébrées avec le concours du peuple, surtout pour les lectures (…). »

Quoi qu’il en soit, cette constitution est postérieure à la dernière édition typique de l’ancien missel et ne devrait donc pas concerner son usage. Et ce d’autant moins que, comme l’avait rappelé feue la commission Ecclesia Dei dans son instruction Universae ecclesiae de 2011 :

« les lectures de la Sainte Messe du Missel de 1962 peuvent être proclamées soit seulement en latin, soit en latin puis dans la langue du pays, soit même, dans le cas des Messes lues, seulement dans la langue du pays. »

Pourquoi cherche-t-on alors à interdire cette proclamation en latin des lectures ? Quelle inquiétude provoque la pratique traditionnelle ? Quel bénéfice attend-on d’une lecture immédiate en langue vulgaire ?

Il me semble que l’on constate une fois encore avec la réforme du rite des lectures la marque essentielle de la réforme : la participation. Tout au long du XXe siècle, un mouvement liturgique de fond s’est développé, recherchant toujours plus de participation active des fidèles, privilégiant une approche pastorale qui conduisait selon ses promoteurs à une meilleure compréhension des mystères de la liturgie passant entre autres par l’abandon de la langue sacrée et la simplification des rites.

Ouvrons à ce sujet une brève parenthèse : il est temps de retrouver un juste sens de cette participation mais plus encore d’accepter la bénéfique assistance à la messe qui n’est pas passivité mais contemplation du renouvellement non sanglant du sacrifice du calvaire par le même prêtre et la même victime.

Globalement cette attitude réformatrice suspicieuse envers la Tradition fait reposer l’efficacité pastorale sur des idées neuves et personnelles. Ainsi le pape Paul VI dans un discours important annonçant l’adoption du nouveau rit indiquait le 26 novembre 1969 :

« Et c’est là, bien sûr, que l’on constatera la plus grande nouveauté : celle de la langue. Ce n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. (…) Par quoi remplacerons-nous cette langue angélique ? (…) La réponse semble banale et prosaïque, mais elle est bonne, parce qu’humaine et apostolique. La compréhension de la prière est plus précieuse que les vétustes vêtements de soie dont elle s’est royalement parée. Plus précieuse est la participation du peuple, de ce peuple d’aujourd’hui, qui veut qu’on lui parle clairement (…). »

Logiquement, la traduction de la liturgie en langues vulgaires aurait donc dû s’accompagner d’un regain de ferveur, de piété, de respect, d’adoration envers l’eucharistie… Je laisse le lecteur sagace conclure ce qu’il faut penser de cette affirmation. La raison en est simple : c’est que la liturgie est avant tout le culte que nous devons rendre à Dieu. Elle a Dieu lui-même comme réalité centrale. Elle est donc liée aux mystères les plus profonds de notre foi. A ce titre ce qui se déroule dans l’action sacrée de la liturgie ne peut évidemment pas être immédiatement compréhensible mais est cependant immédiatement aimable.

Revenons au chant des lectures.

L’idée pastorale veut que les fidèles, peu familiers avec le latin (nous l’admettons bien volontiers), aient besoin d’entendre directement dans leur langue la Parole de Dieu, et nous ne nions pas ce besoin de recevoir les Écritures : fides ex auditu. Avant de revenir sur ce point, décrivons (trop brièvement) au cours de la messe solennelle ce rite de la proclamation de l’Évangile condamné par le pape :

Alors que se termine le chant de l’Alléluia, le célébrant bénit l’encens par cette prière magnifique : Te bénisse celui en l’honneur de qui tu vas brûler. Le diacre dépose l’évangéliaire au milieu de l’autel à l’endroit même où le sacrifice de la messe sera bientôt célébré en demandant à Dieu :

Purifiez mon cœur et mes lèvres, Dieu tout-puissant qui avez purifié les lèvres du prophète Isaïe avec un charbon ardent. Daignez par votre miséricordieuse bonté me purifier pour que je sois capable de proclamer dignement votre saint Évangile.

Puis le diacre reprend alors le livre sur l’autel, et se mettant à genoux demande la bénédiction au prêtre. Avec cette lenteur grave et recueillie, déjà toute céleste, il se dirige ensuite en procession vers le côté gauche du chœur accompagné du sous-diacre, du cérémoniaire, de l’encens et des flambeaux. Le sous-diacre, qui représente le peuple élu de l’Ancienne Alliance encore dans l’attente de la Révélation, fait reposer l’évangéliaire sur son front comme un vivant lutrin manifestant par-là que l’ancien testament annonce le nouveau. Tourné non pas vers la nef mais vers le nord, lieu des ténèbres et du froid, refuge des esprits impurs et provenance des Barbares, le diacre entonne le chant en langue sacrée par une mélodie grégorienne très suave. Nonobstant tout le bénéfice que nous autres fidèles retirons individuellement de l’Évangile, cette proclamation solennelle n’est pas adressée étroitement et mesquinement aux seuls fidèles réunis dans la petite assemblée communautaire mais à l’univers entier : aux grenouilles, aux montagnes, aux bouddhistes, aux araignées de mer, aux apaches, aux rhinocéros, aux voleurs, aux alouettes, aux tulipes, aux volcans, aux cigales, aux étoiles, aux gardiens de goulag, aux nourrissons, aux tempêtes passées, présentes et futures. Et lux in tenebris lucet. Par ce rite, le Logos rencontre le Cosmos. Il faut se souvenir pour pénétrer cette dimension cosmologique de la liturgie que la création est précisément le fruit du débordement d’amour de la Sainte Trinité, et que cet amour trinitaire est l’objet de la liturgie céleste. Parmi les multiples passages de l’Écriture qui pourraient illustrer cette idée, j’en citerai deux picorés dans le très roboratif ouvrage du chanoine de Guillebon sur les Rois mages : le psaume XVIII :

« Les cieux chantent la gloire de Dieu, et le firmament les œuvres de ses mains ; le jour à son Zénith annonce sa parole et les profondeurs de la nuit sa sagesse. »

Et au livre de Baruch :

« C’est lui qui envoie la lumière et elle part, qui l’appelle et elle lui obéit en tremblant. Les étoiles brillent à leurs postes, et elles sont dans la joie. Il les appelle et elles disent : nous voici ! Et elles brillent joyeusement pour Celui qui les a créées. »

Évidemment, pour saisir cela il faut avoir l’âme un peu ouverte à la poésie et au mystère, il faut faire davantage confiance à la Tradition qu’à nos inventions, il faut laisser à la Liturgie le temps de façonner nos âmes.

Constatant le soin, la magnificence, la solennité dont se pare la liturgie pour proclamer la Parole de Dieu, on ne peut qu’être conduit à découvrir, approfondir et étendre la connaissance que nous en avons par ailleurs. Le latin, pour les fidèles de l’Église latine, n’est pas impénétrable. Avec le temps et la répétition des cycles liturgiques (je peux en témoigner, ayant dû, collégien, sacrifier l’étude de cette langue pour de vains cours de soutien en mathématiques) les mots, les expressions, les tournures, le lyrisme de cette belle langue deviennent familiers et intelligibles. Ajoutons en passant que la préparation de la messe dominicale à laquelle sont incités les fidèles passe entre autre par une première lecture des textes. Rappelons aux distraits l’existence des missels des fidèles. Enfin, la traduction des lectures avant le sermon par le prêcheur qui les explicitera est une mesure pastorale intelligente, pratique et ancienne qui offre l’avantage de ne pas priver le culte liturgique de sa cohérence qui est d’un ordre surnaturel et bien supérieur à la seule pastorale. Ainsi fait, la liturgie développe sa profondeur mystique et la pastorale y trouve son intérêt ; pourquoi donc faire autrement ? Pour gagner du temps ? Mais notre dimanche est à Dieu !

Alors par pitié, que l’on ne nous accuse pas de mépriser la Parole, alors que les usages liturgiques hérités de 2000 ans de chrétienté donnent un aperçu du poids et de la puissance que possède l’Écriture.

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Tout par lui a été fait, et sans lui n’a été fait rien de ce qui existe. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. »

Cyril Farret d’Astiès

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