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Culture / Histoire du christianisme

Ecrire une biographie de Jésus

Ecrire une biographie de Jésus

Intéressante analyse de l’abbé Roy sur Claves, à propos des multiples “Vie de Jésus” publiées :

[…] La figure de Jésus intrigue et questionne encore les hommes du XXIe siècle. Malgré l’apparente indifférence de notre époque, la figure du Nazaréen continue de toucher certains contemporains. Témoin cette abondante production littéraire qui lui est consacrée. Parmi les ouvrages dernièrement parus, on pourra encore facilement trouver le Jésus de Jean-Christian Petitfils[1], publié en 2013 et déjà réédité. Son auteur a récemment préfacé le Jésus, l’enquête de Jean Staune[2], publié en 2022. On peut encore citer dans un autre domaine la grande fresque cinématographique entreprise sous forme de série par les américains d’Angel Studios : The Chosen.

Ces essais qui se présentent plus ou moins ouvertement comme des biographies du Sauveur amènent à réfléchir sur le caractère propre de la révélation en Jésus et des témoignages qui nous la rendent accessible. Il est en effet le Verbe fait chair, la parole divine assumant une nature humaine pour venir nous rejoindre au plus proche. Sa vie en elle-même est donc un enseignement et un message divin. L’originalité indépassable de sa figure et de son message expliquent certainement en partie la fascination exercée depuis 2000 ans sur le monde intellectuel – fascination d’autant plus paradoxale aujourd’hui qu’elle se continue dans un monde qui refuse toute transcendance et toute ouverture spirituelle.

Or la figure de Jésus est nimbée du mystère de sa double nature divine et humaine, accentuée  par la connaissance parcellaire que nous en donnent les sources divinement révélées : Écriture Sainte et la Révélation. C’est pourquoi l’entreprise de composer une véritable biographie semble difficile, voire illusoire.

Les Évangiles sont de véritables biographies du Christ, que l’on peut rapprocher des monuments du genre dans la littérature antique (Thucydide, Suétone, Cornélius Nepos, Plutarque…). Willem van Unnik, célèbre professeur hollandais d’Écriture Sainte, a entrepris à partir du témoignage de l’historien grec Lucien de Samosate (Comment il faut écrire l’histoire) de dégager 10 règles d’or de l’historien antique, parmi lesquelles l’indépendance d’esprit, la construction du récit, la collection et la sélection des informations, la vivacité de la narration, la composition rhétorique… Parmi ces 10 critères, il semble que les Évangiles, en particulier celui de saint Luc – qui annonce explicitement dans son prologue vouloir faire œuvre d’historien – en remplissent au moins huit. Ces récits conservent toutefois un caractère singulier : il s’agit de la seule œuvre ancienne retraçant la vie d’une figure juive. La perspective historique hébraïque était en effet légèrement différente de la pratique grecque : Israël ne valorisait pas tant l’indépendance d’esprit de l’auteur que sa capacité à montrer l’action de Dieu à l’œuvre dans l’histoire des hommes. On retrouve ce trait en particulier dans les monumentales narrations de Flavius Josèphe. Quoi qu’il en soit, les Évangiles sont de véritables classiques de leur temps, mais qui ne correspondent donc pas aux canons du genre contemporain, et peuvent s’avérer décevants à cet égard[3].

Peut-on dès lors entreprendre de composer une biographie contemporaine du Christ, selon les canons actuels du genre ? La question est celle de la capacité à appréhender le personnage de Jésus comme une figure historique. Le jésuite américain John-Paul Meier auteur de l’ouvrage de référence sur le « Jésus de l’Histoire[4] » introduit une distinction entre le Jésus historique et le Jésus réel. Pour lui, il est impossible d’appréhender le personnage réel du Sauveur, en raison du manque de sources bien sûr, mais plus encore car la science historique ne permet pas de comprendre une personne dans sa totalité, à plus forte raison lorsqu’il s’agit du fils de Dieu.

Dès lors, comment recevoir et lire ces biographies du Christ ? Elles peuvent être une aide pour lire et relire les Évangiles, donnant parfois au Seigneur un visage aux traits humains plus accentués et concrets. On apprécie ainsi les saillies humoristiques du Jésus de The Chosen ou les remises en contexte historique de Jean-Christian Petitfils. L’écueil majeur est que l’auteur d’un tel ouvrage imprègne nécessairement son personnage de sa propre spiritualité, de son expérience personnelle, sans parler de son style et de ses références littéraires, de ses centres d’intérêt… Ce qui est une richesse supplémentaire lorsque l’écrivain est un témoin oculaire – le cas des Évangiles eux-mêmes – peut devenir un obstacle lorsqu’il prend la plume par-delà des siècles d’histoire.  La biographie de Jean-Christian Petitfils présente ainsi d’indéniables qualités littéraires et historiques, et constitue réellement l’œuvre d’un « amoureux » de la figure du Christ, mais prend souvent le parti de favoriser univoquement telle ou telle hypothèse historique, reconstruisant un personnage plus complet que celui des Évangiles, mais peut-être aussi plus éloigné du Jésus réel. Selon Petitfils l’auteur du quatrième Évangile ne peut en aucun cas avoir été Jean, fils de Zébédée et frère de Jacques. Se fondant sur ce parti-pris intéressant mais qui n’est pas accepté universellement ni démontré, l’ouvrage s’enrichit d’une foule de détails qui deviennent certes plausibles, mais ne prennent le risque de virer à la fiction. Chez Jean Staune la première moitié du livre est consacrée à démontrer ce même principe : l’existence d’un disciple discret, voire secret, le « disciple bien aimé » (ou DBA), auteur du quatrième Évangile et bien distinct de Jean, fils de Zébédée (JFZ), pécheur inculte de la mer de Galilée. Les arguments accumulés sont parfois forts, parfois moins, et parfois dirigés ad hominem contre tel ou tel auteur. L’ensemble se conclut sur ce qui se veut une vision d’ensemble du personnage de Jésus, mais qui peut sembler teintée de syncrétisme, voire de gnosticisme.

Au cinéma ou en littérature, il est bien difficile d’entreprendre de présenter une biographie du Christ dans un style moderne. Est-ce seulement possible ? Est-ce seulement souhaitable ? Notre époque a la folie du détail, la manie de la vérification. Tel n’était pas le cas des évangélistes et des premiers chrétiens : à travers l’homme Jésus, c’est le Fils, et par lui le Père, qu’ils ont cherché à rejoindre. À cela il semble que les Évangiles suffisent amplement. Plus encore, leur style elliptique, leurs silences, laissent la place à la méditation et à la prière. On ne dépassera par les Écritures, qui mieux que l’Esprit pourrait nous faire connaître le Fils ? « Qui m’a vu, a vu le Père » (Jn 14, 9).

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