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Pro-vie

D’un petit bébé porteur de la trisomie 21 à ses parents

Sermon d'un chanoine de Lagrasse, pour l'enterrement d'un petit bébé porteur de la trisomie 21:

"chère maman, cher papa,

D'habitude, c'est le prêtre qui fait l'homélie. Mais aujourd'hui, tout est étrange. Je le vois bien de là où je suis : ce jour où se mêlent votre joie et votre douleur, votre espérance et votre deuil est pour vous bien étrange. Alors, j'ai demandé la permission de parler. C'est rigolo, non ? Je suis une petite fille et je vais faire le sermon ! Vous n'aurez jamais entendu mes paroles et elles vont maintenant toucher vos cœurs endoloris. Car aujourd'hui, j'ai des choses très importantes à vous dire, à expliquer à mes chers frères et sœurs et à tous ceux que j'aime, mais surtout à vous, mon cher papa et ma chère maman.

D'abord, je voudrai vous remercier de m'avoir donné la vie. J'existe, immortelle, avec une âme spirituelle, et ma joie immense de maintenant, je vous la dois. En plus, je sais bien que mes amis qui ont eu comme moi une petite différence sur leur 21ème chromosome, les autres parents les tuent souvent. Ils disent respecter la différence, mais ce n'est pas vrai. Vous, vous m'avez sauvé de cette folie, vous m'avez permis de vivre sur terre, vous m'avez aimée, et je l'ai senti, sans pouvoir vous le rendre, vous le dire. Alors je vais le faire maintenant ! En plus, je sais que je vous ai causé pas mal de tracas… avec les médecins, vous m'avez aidée à me nourrir, à respirer. Mais mon petit cœur ne voulait pas bien fonctionner… Vous comprenez, je n'étais pas faite pour aimer longtemps les petites choses de cette terre… Avec le Bon Dieu, vous m'aviez fait un cœur trop grand, trop ouvert ont dit les médecins, pour se satisfaire des joies d'ici-bas… j'aspirai déjà à celles du Ciel. D'ailleurs, j'ai pointé mon petit nez et mes yeux en amande juste au début de la grand'messe de la solennité de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Elle était rapide celle-là, et je l'ai été encore plus… mais cela, c'est grâce au deuxième bienfait que vous m'avez offert. Et là, je dois vous en remercier plus encore que du don de la vie.

La vie humaine, c'était déjà un cadeau. Mais la vie divine que vous m'avez donnée grâce au baptême : quel trésor inouï ! Là, je devenais vraiment Philothée, c'est-à-dire l'amie de Dieu, sa fille pour l'éternité ! Papa m'a baptisée juste après ma naissance, parce que ma santé inquiétait tout le monde. Et je dois remercier aussi mon aîné et cher parrain F. et ma grande sœur et marraine M. Bon sérieusement, c'est tout de même un peu incroyable ce qu'a fait le Bon Dieu ! D'habitude, il veut des parrains et marraines qui guident l'enfant vers la sainteté. Mais là, tout est inversé : je vous ai tous dépassés et c'est moi la petite sainte de la famille ! J'étais la dernière arrivée sur terre et je suis la première à entrer au Ciel ! J'étais la septième à naître dans la famille, un chiffre qui m'invitait à une perfection, malgré les soucis de mon petit corps. Et là, je ne plaisante pas ! Lavée du péché originel, belle comme un ange, je suis vraiment au Paradis, la première de la famille ! Oui, je sais, j'ai retrouvé dans l'au-delà, tous les chers défunts de la famille. J'ai ainsi une affection particulière pour mon grand-père Hervé que j'avais pas encore vu, puisqu'il était parti là- haut avant la naissance de papa, et pour Bénédicte, ma grande tante qui était arrivée ici très vite aussi, vers ses 10 ans. Mais je vous rassure, je ne fais pas de mondanité au Ciel ! Je loue, j'exulte en Dieu, dans la joie infinie des anges et des saints, dans la contemplation béatifiante de la Très Sainte Trinité, dans la vision enivrante du Verbe de Dieu ! Cela je vous le dois, cher papa, chère maman. Et je ne vous en remercierai jamais assez.

Oh, attention ! Remercier, pour les saints du Paradis où je suis, veut dire intercéder, agir, vous transmettre les grâces du Bon Dieu dont vous avez tant besoin. Vous m'entendez tous, et surtout vous, mes frères et sœurs… Oui, A., H., A. et A., avec vos deux grands, F. et M. : je suis présente, je serai toujours à vos côtés, à intercéder pour vous, à vous aider, à vous conseiller si vous me le demandez en Dieu et pour Lui. Alors, à chacun en particulier, je voudrai dire ceci : « Ne pleure pas si tu m'aimes ! Si tu savais le don de Dieu et ce que c'est que le Ciel ! Si tu pouvais d'ici, entendre le chant des Anges et me voir au milieu d'eux ! Si tu pouvais voir se dérouler sous tes yeux les horizons et les champs éternels, les sentiers où je marche ! Si, un instant, tu pouvais contempler, comme moi, la Beauté devant laquelle toutes les beautés pâlissent ! Quoi ! tu m'as vue, tu m'as aimée [seulement deux petits mois] dans le pays des ombres, et tu ne pourrais ni me revoir, ni m'aimer encore dans le pays des immuables réalités ? Crois-moi, quand la mort viendra briser tes liens comme elle a brisé ceux qui m'enchaînaient, et quand un jour que Dieu connaît et qu'il a fixé, ton âme viendra dans le Ciel où l'a précédée la mienne, ce jour-là, tu reverras celle qui t'aimait et qui t'aime encore, tu en retrouveras les tendresses épurées. A Dieu ne plaise qu'entrant dans une vie plus heureuse, infidèle aux souvenirs et aux joies de mon autre vie, je sois devenue moins aimante ! Tu me reverras donc, transfigurée dans l'extase et le bonheur, [toute belle, avec un corps sans dommage] non plus attendant la mort, mais avançant d'instant en instant, avec toi qui me tiendra la main, dans les sentiers nouveaux de la Lumière et de la Vie, buvant avec ivresse aux pieds de Dieu un breuvage dont on ne se lasse jamais et que tu viendras boire avec moi. Alors, essuie tes larmes et ne pleure plus, si tu m'aimes1 . »

Mais j'ai encore trois choses à vous demander, à tous, pour finir :

D'abord, je voudrai que vous preniez soin de vos âmes comme vous prenez soin de vos corps, que vous songiez à votre éternité comme vous préparez votre avenir de la terre. Vous savez, vus d'en haut et de l'éternité, les vignes ou l'armée, les châteaux et les banques c'est très petit et un peu ridicule… Bref, j'aimerais que vous viviez comme si vous alliez mourir demain et me rejoindre, après avoir été jugés par Dieu sur ce que vous aurez fait de bien et de mal. Moi, j'ai eu de la chance, je n'ai jamais pu faire de mal. Mais vous, vous serez jugés sur l'amour que vous aurez donné ou sur l'égoïsme et l'orgueil que vous aurez mis en toutes choses. Alors faites-moi plaisir, soyez sérieux quant à vos confessions et vos communions, le commandement de la charité et tout le reste. Je n'ai pas eu le temps de l'apprendre ici-bas, mais je vois bien maintenant la vérité de la foi de papa et maman…

Ensuite, j'aimerai que vous passiez chaque jour un peu plus de temps à prier. Si vous saviez comme votre argument du manque de temps paraît ridicule quand on est dans l'éternité et qu'on compare vos énergies et investissements chronophages pour des choses terrestres et votre manque de temps pour parler au Bon Dieu ! Tout ce qui n'est pas de l’éternité retrouvée est du temps perdu. Je vois bien que vous êtes dans un monde qui privilégie l'urgent sur l'essentiel. Alors priez ! Ainsi, vous rappellerez à tous l'urgence de l'essentiel.

Enfin, j'aimerai vous dire le plus important que je comprends, maintenant que mon intelligence handicapée est délivrée de tout lien et vois clair dans le Verbe divin. C'est l'amour qui vous sauve, l'amour que vous aurez mis dans toutes les choses, dans vos travaux intellectuels ou manuels, dans vos jeux et vos rêves, dans vos inquiétudes et vos espoirs. Arrêtez de ne penser qu'à vous ! Aimez les autres, souciez-vous de leur bien, soyez miséricordieux pour recevoir la Miséricorde. Si vous saviez ! C'est tellement clair vu d'EnHaut ! Si vous retenez bien ces trois choses, vivre en préparant votre mort, prier et aimer, alors mon petit passage parmi vous n'aura pas été vain, alors vous aurez compris le chemin du Paradis, alors vous arrêterez de pleurer et partagerez un peu de ma paix et de ma joie et vous comprendrez le bonheur que vous avez d'avoir à jamais une petite Philothée !

Ainsi soit-il !"

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