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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Derrière la concélébration, de grandes confusions

Derrière la concélébration, de grandes confusions

7e article de Claves, consacré à la communion sacramentelle :

1- Qu’est ce que la communion dans les sacrements ?

Dire que l’on est en communion « sacramentelle », c’est affirmer tout d’abord que l’on reconnaît les sept sacrements institués par Notre Seigneur (à la différence, par exemple, des protestants). La reconnaissance des sept sacrements nous indique que l’on est bien dans l’Église catholique (pourvu que l’on soit aussi dans la communion de foi et de hiérarchie).

Mais il faut aller plus loin. Les sacrements ne sont pas qu’un « indicateur » de la vraie Église : ils en sont le ciment, les pierres et les colonnes ; les sacrements constituent l’Église elle-même, selon la belle expression de saint Thomas :

« L’Église est constituée par la foi et les sacrements de la foi […]. C’est par les sacrements qui coulèrent du côté du Christ, pendant sur la croix, que l’Église du Christ a été construite[1]. »

A ce titre, deux sacrements occupent une place centrale : le baptême, qui insère le chrétien dans la communion visible de l’Église ; et l’eucharistie[2], sacrement de l’unité par excellence : « [le Christ] a institué dans son Église l’admirable sacrement de l’Eucharistie qui signifie et réalise l’unité de l’Église[3]. »

2 – L’Eucharistie signifie et réalise la communion de l’Église

Ce thème est bien connu, cependant il est sujet de multiples confusions. Exprimons-le de la manière la plus simple possible : ce n’est pas, primordialement, le fait de célébrer l’eucharistie ensemble, matériellement, qui signifie et réalise l’unité de l’Église ; ce n’est pas non plus le fait de célébrer de la même manière ; c’est le fait de célébrer la même eucharistie. Et ce « même », répétons-nous, ce n’est pas à l’homme d’en assurer matériellement l’identité ou la permanence : ce « même » est inscrit dans le mystère de l’Eucharistie par institution divine, puisqu’à chaque messe célébrée, partout sur la Terre, il s’agit : 1) du même et unique sacrifice du Christ que les chrétiens offrent en tout temps et en tous lieux ; 2) du même et unique Corps du Christ que les chrétiens reçoivent en tout temps et en tous lieux. Nous retrouvons ici, au niveau sacramentel, ce que nous disions de la communion spirituelle : elle est une communion de chaque chrétien avec le Christ, et donc, par rejaillissement, une communion des chrétiens entre eux. A la messe, le principe qui unit, c’est Jésus présent, offert et reçu dans l’Eucharistie : parce qu’il est le même, dans chaque messe célébrée depuis le Jeudi Saint.

Il nous semble très important d’insister sur ce point. Le sacrement de l’Eucharistie signifie et réalise l’unité de l’Église non pas en raison d’un effort humain ou d’une initiative humaine consistant à « faire ensemble », mais en raison de la nature même de ce sacrement. Un prêtre catholique qui célèbre la messe seul chez lui signifie et réalise l’unité de l’Église au même titre, essentiel, qu’un évêque concélébrant dans sa cathédrale pleine. Le nier, ce serait mettre en doute l’économie propre au mystère eucharistique :

Toute célébration valide de l’Eucharistie exprime cette communion universelle avec Pierre et avec l’Église tout entière, ou bien la réclame objectivement, comme dans le cas des Église chrétiennes séparées de Rome[4].

3 – Signe essentiel et signes secondaires

Attention ! il existe d’autres signes liturgiques, des signes secondaires, d’institution humaine, très vénérables, qui permettent d’appuyer, d’insister sur cette unité de l’Eglise réalisée par l’Eucharistie. On peut songer au rite de la paix du Christ, par exemple[5], ou à l’antique rite du fermentum dans la liturgie papale[6]. Ces rites disent quelque chose, sans doute : c’est d’ailleurs leur unique but : « dire » un peu mieux, pour nous pauvres hommes, ce que l’Eucharistie, signe par excellence, « dit déjà », signifie et réalise. La concélébration est un signe de ce type là : un signe secondaire.

Il nous semble donc très important de distinguer entre les « signes essentiels » de la communion dans l’Église (la communion eucharistique et l’offrande du même sacrifice pour la communion sacramentelle ; la profession de foi ; la communion hiérarchique), dont l’absence signifie une rupture de communion ; et ces signes secondaires comme le fermentum autrefois ou la concélébration aujourd’hui, ajouts de l’Église, légitimes dans la mesure où ils ne masquent pas le signe essentiel qu’est l’eucharistie. Et c’est là, justement, qu’est le véritable problème, l’impasse liturgique : lorsqu’un signe secondaire prend tellement d’importance qu’il en vient à masquer la puissance unificatrice du signe essentiel.

Prenons deux exemples. Certes, le rassemblement matériel de nombreux fidèles autour de l’eucharistie, à la messe, peut être un signe éloquent de la communion de l’Église ; mais il semble que parfois, il soit devenu un signe essentiel, au point que, en l’absence matérielle de fidèles, certains prêtres aujourd’hui décident de ne pas célébrer la messe, oubliant qu’en consacrant le Corps du Christ, ils réalisent de fait l’unité de l’Eglise, en présence ou non des fidèles : le signe accidentel a pris le pas sur le signe essentiel.

L’autre exemple est celui de la concélébration. Ce signe est en soi, une « manifestation heureuse de l’unité du sacerdoce[7] », mais c’est un signe secondaire : il ne réalise pas la communion, mais la manifeste uniquement, comme un signe « supplémentaire ». La preuve en est que le code de droit canon interdit la concélébration avec ceux qui ne sont pas déjà en pleine communion dans l’Église[8].

C’est d’ailleurs pour cela que, dans le droit de l’Eglise, la concélébration est une possibilité : jamais une obligation. Ainsi, si un prêtre, usant du droit que lui confère l’Église de ne pas concélébrer[9] pour des raisons qui lui sont propres, des raisons prudentielles[10], décide de ne pas concélébrer tout en manifestant sa communion avec l’Église à travers les signes objectifs essentiels que nous avons rappelés depuis le début de cet article, comment peut-on affirmer que « ce refus semble exprimer un refus de communion ecclésiale[11] ?

Certains diront que ce refus de concélébration équivaut à un refus de la réforme liturgique et donc à un refus de communion hiérarchique ; mais l’argument ne tient pas, d’abord parce qu’il y a de nombreux motifs pour lesquels certains prêtres, même célébrant habituellement dans la forme ordinaire, ne souhaitent pas concélébrer ; ensuite, parce que – comme nous essayerons de l’expliquer dans un autre travail – les réserves qui sont les nôtres par rapport à la liturgie réformée, et qui nous poussent en prudence à ne pas la célébrer tout en la reconnaissant valide et sanctifiante, et tout en reconnaissant l’autorité du Concile Vatican II, ne constituent pas un refus de communion avec l’Église : nous ne célébrons pas de la même manière, c’est vrai, et suivant le même missel, mais nous célébrons la même messe (unité sacramentelle), une messe de l’Église, qui plus est avec l’autorisation de la hiérarchie et dans la communion de la foi avec l’Église. Pour qui a bien compris que la communion ecclésiale n’était pas un « vague sentiment« , basé sur un « faire ensemble » ou sur un « être d’accord sur tout« , il n’y a là aucune difficulté en ce qui concerne la communion. [12]. Et puisqu’on nous presse de prouver ce qui est pourtant une réalité déjà vécue, il est parfois d’usage, pour les prêtres de la FSSP, de communier à la messe chrismale des mains de l’évêque, quand celui-ci le veut bien[13] : signe en soi non nécessaire – car ces prêtres sont déjà en communion avec leur évêque -, mais librement posé, pour manifester à ceux qui en douteraient encore, de manière indubitable, que ces prêtres reconnaissent la validité du Novus ordo Missae et la communion hiérarchique.

4 – Un glissement dangereux

Imperceptiblement ou volontairement, un glissement s’est produit : le signe « heureux » est devenu signe nécessaire, au point que celui qui refuse de le poser est considéré comme se séparant de la communion de l’Église. Mais qui décide des signes de communion nécessaires dans l’Église ? Est-ce Jésus, ou bien ses ministres ? Le concile Vatican II se serait-il trompé lorsqu’il affirme que « participant réellement au Corps du Seigneur dans la fraction du pain eucharistique, nous sommes élevés à la communion avec lui et entre nous[14] » ? Le signe eucharistique qui réside dans le fait de tous communier au même vrai Corps de Jésus et de tous offrir le même sacrifice quel que soit le lieu, la langue, le riteest-il si faible, si peu « heureux » qu’il faille le suppléer, le combler, le soutenir par d’autres signes sans lesquels la communion n’est pas suffisamment manifestée ? Il y aurait là de quoi justifier à lui seul le refus de la concélébration, dans l’attente d’autres raisons : nous réclamons que l’on reconnaisse au fait de célébrer validement la messe, pour un prêtre catholique uni à Rome, qu’il est un signe suffisant de communion ecclésiale, parce que c’est précisément cela, le mystère de la messeC’est le même Christ, consacré dans toutes les hosties de toutes les messes valides du monde entier : voilà la cause de l’unité que confère la célébration de l’Eucharistie.

Tel est l’enseignement de saint Paul :

La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion (koinonia, à nouveau !) au sang de Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas la communion (koinonia) au corps de Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps ; car nous participons tous à un même pain[15] ».

Tel est également l’enseignement de saint Thomas, pour lequel l’unité ecclésiale est la « res tantum » du sacrement de l’Eucharistie. Remarquons au passage que la fonction unificatrice de l’Eucharistie est tout à fait présente dans la théologie scolastique dite « tridentine » ; si elle est une redécouverte pour certains au XXe siècle, c’est qu’ils ont oublié saint Thomas :

Ce sacrement a une deuxième signification à l’égard de la réalité présente, qui est l’unité ecclésiale à laquelle les hommes s’agrègent par ce sacrement ; et à ce titre on l’appelle communion ou synaxe ; en effet, selon saint Jean Damascène, “on le nomme ainsi parce que c’est lui qui nous unit au Christ, nous fait participer à sa chair et à sa divinité, et c’est lui qui nous relie, nous met en communication les uns avec les autres”[16].

Tel est l’enseignement de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : significatif en ce qu’il rapproche la communion sacramentelle eucharistique de la communion hiérarchique, et rappelle que liturgiquement, toute célébration valide de la messe d’un prêtre catholique exprime de soi la communion avec son évêque :

L’Épiscopat est un comme l’Eucharistie est une : l’unique Sacrifice de l’unique Christ mort et ressuscité. La liturgie exprime de diverses manières cette réalité, en manifestant par exemple que toute célébration de l’Eucharistie est faite en union non seulement avec l’Évêque, mais aussi avec le Pape, avec l’ordre épiscopal, avec tout le clergé et le peuple tout entier. Toute célébration valide de l’Eucharistie exprime cette communion universelle avec Pierre et avec l’Église tout entière […][17].

Ce dernier texte s’appuie avec bonheur sur la dimension sacrificielle de la messe, dimension si souvent oubliée, et complète heureusement nos réflexions. La messe est le renouvellement, la réactualisation du sacrifice du Christ sur les autels du monde entier. À la messe c’est substantiellement le même sacrifice qui est réalisé, actualisé, par le Christ prêtre principal, en tous lieux et tous temps, et offert par les chrétiens du monde entier : voilà bien une source intarissable d’unité et de communion ecclésiale, enseignée par les plus grands docteurs de l’Église, comme par exemple saint Augustin :

Tel est le sacrifice des chrétiens : à plusieurs, n’être qu’un seul corps dans le Christ. Et ce sacrifice, l’Église ne cesse de le reproduire dans le Sacrement de l’autel bien connu des fidèles, où il lui est montré que dans ce qu’elle offre, elle est elle-même offerte[18].

Ainsi, lorsque le concile Vatican II parle de « l’unité de culte » dans l’Église, ou de « célébration commune », il serait terriblement réducteur de le penser en termes matériels (même culte ou même rite partout), ou bien en termes géographiques. L’Eucharistie est l’acte suprême de l’unique culte agréable à Dieu et, à travers toutes les messes du monde entier, diverses et multipliées numériquement, il n’y a qu’un seul grand-prêtre, qu’un seul acte du sacrifice sur la Croix rendu présent partout, qui polarise toute la louange des créatures et autour duquel tous les fidèles se rassemblent, en tous lieux, pour ne former qu’une seule Église, qu’un seul peuple, qu’une seule offrande. Le sacrifice en sa totalité constitue l’Église unie par son culte.  Quand j’assiste à la messe dans mon petit village, quand je célèbre ma messe privée sur un autel latéral d’abbaye, je suis réellement, véritablement en communion sacramentelle avec toute l’Église : et le signe de cette communion, c’est l’hostie (victime en grec) que je tiens entre les mains, que je reçois dans mon cœur, et avec laquelle je m’offre et j’offre le sacrifice.

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