Partager cet article

Pays : International

Brésil, un si grand gâchis

De William Kergroach :

BresilLe Brésil est à la fois le pays le plus riche, le plus grand et le mieux armé du continent sud-américain. Les immenses gisements pétroliers des bassins de Santos et de Campos, au large de Rio de Janeiro, en font le pays où il y a plus de pétrole en réserve au monde. L'agence d'évaluation Price waterhouse Coopers prétend que le Brésil deviendra, en 2050, le 4e pays le plus riche du monde. Sauf que les inégalités sociales, la violence et la corruption gangrènent la société. Le Brésil du XXIe siècle attend toujours de goûter, enfin, à une démocratie fiable et enracinée. 

L'histoire moderne du Brésil avait bien commencé. Sous le règne de l'empereur Pierre II, le Brésil était un pays prospère. En 1850, en effet, sa croissance était comparable à celle des États-Unis et de l'Europe. Pierre II était catholique, abolitionniste et entraînait son pays vers la démocratie et la prospérité pour tous, à l'instar de Gabriel Garcia Moreno en Equateur. Pierre II fut chassé par un coup d'Etat, le 15 novembre 1889, financé par les grands propriétaires et inspiré par les habituelles loges bolivariennes. L'armée proclama la République en se gardant de parler de démocratie. Le pays fut dirigé par les riches propriétaires, les coronels, jusqu'à la crise de 1929. Là où le Brésil avait besoin de générosité, d'éducation et de démocratie, la ploutocratie s'accrochait à ses privilèges et alimentait la révolte.

Cette tragédie brésilienne s'est poursuivie jusqu'à nos jours, à travers le régime autoritaire de Getulio Vargas en 1930, comme dans les intérims de l'armée. Juscelino Kubitschek fit bien construire Brasilia, la capitale, en pleine Amazonie en 1960, pour ouvrir l'immensité du territoire aux populations des villes, le développement du pays fut freiné par les intérêts des grands propriétaires. Entre 1964 et 1985, ce fut la dictature militaire. Plus de 500 personnes furent tuées, sur fond d'opération Condor, pilotée par la CIA, et d'attentats « révolutionnaires » du  MR-8 carioca ou de l'Action de libération nationale (ALN), basée à Sao Paulo ; ce furent autant de troubles opportuns pour ne pas entamer de réformes démocratiques…

Quand Fernando Henrique Cardoso fut élu, en 1994, son gouvernement parvint à juguler l'inflation. Des membres du Collectif des travailleurs sans terre occupèrent son ranch familial, exigeant une réforme agraire qui ne vint pas. Cardoso finit sa carrière dans une lamentable histoire de corruption.

Luiz Inácio Lula da Silva, plus connu sous le nom de « Lula », remporta les élections présidentielles en octobre 2002, faisant naître beaucoup d'espoirs démocratiques. C'était le premier gouvernement de gauche du Brésil en 40 ans. Les grands propriétaires s'inquiétèrent d'autant plus que la classe moyenne soutenait massivement les réformes démocratiques du président. En avril 2004, pourtant, les militants du Collectif des travailleurs sans terre manifestaient, attendant toujours une réforme agraire. En mars 2005, un escadron de la mort, tuait encore 30 personnes dans une favela, à la  périphérie de Rio de Janeiro. 

En mai 2006, des dizaines de personnes étaient tuées à l'intérieur d'une prison de l'état de Sao Paulo. Le problème n'était pas nouveau : en 1992, au pénitencier de Carandiru (Sao Paulo), 111 prisonniers avaient été sommairement exécutés par la police militaire alors qu'ils se rendaient. Cette année, en janvier, des gangs se sont encore entretués dans la prison de Manaus. On a relevé 56 cadavres. « Le système pénitentiaire est toujours marqué par une forte surpopulation, des conditions dégradantes, la pratique de la torture et des violences fréquentes », écrit Amnesty International dans son rapport 2015-2016. 

En décembre 2007, le président du Sénat brésilien, Renan Calheiros, allié-clé du président Lula, démissionne afin d'éviter d'être interrogé sur un scandale de corruption. En juin 2011, c'est le chef d'état-major du président Rousseff qui démissionne, toujours pour des motifs de corruption. 

Le gouvernement lance, au même moment, un programme de protection sociale, Brasil Sem Miseria (Brésil sans pauvreté), visant à faire sortir des millions de Brésiliens de la pauvreté. Le Parlement approuve, l'année suivante, une loi qui oblige les universités à réserver 50 % de leurs places aux étudiants des écoles publiques et ainsi favoriser l'ascenseur social. Mais l'inflation galope et l'écart entre les classes aisées et les pauvres se creuse.

En mars 2015, c'est la douche froide. Le scandale de la compagnie pétrolière d'Etat Petrobras porte sur des millions de dollars ; plus de 80 politiciens et membres éminents du monde des affaires sont impliqués dans une corruption massive, dont le parti des Travailleurs de Lula et de la présidente Dilma Rousseff, qui a pris sa succession en 2011. 

Delcídio do Amaral, ancien chef du Parti des travailleurs au Sénat, impliqué dans le scandale, avoue que Dilma Rousseff avait bénéficié de pots-de-vin provenant de contrats sur-facturés liés à la construction du barrage de Belo Monte et qu'elle « savait tout » du réseau Petrobras. Le Parti des travailleurs utilisait ces fonds pour acheter les votes des politiciens et, selon Otávio Azevedo, ancien PDG de la deuxième société du BTP au Brésil, financer les campagnes électorales de Dilma Rousseff. 

Luiz Inácio Lula da Silva, l'ancien président du pays, est reconnu coupable. Il s'était fait offrir un appartement en bord de mer, d'une valeur de 690 000 $, par la firme d'ingénierie OAS pour qu'il l'aide à obtenir des contrats avec Petrobras. Il a été condamné à neuf ans et demi de prison. Le 17 mars 2016, Dilma Rousseff nomme Lula, ministre d'État et chef de cabinet du président de la République, la fonction la plus élevée du gouvernement, pour éviter qu'il soit mis en détention. Une écoute téléphonique, réalisée entre elle et Lula, rendue publique par le juge fédéral Sérgio Moro, démontre qu'il y a eu arrangement entre eux pour stopper les poursuites pénales contre Lula.

Mme Rousseff s'est également fait prendre en train de transférer des fonds entre les budgets gouvernementaux, ce qui est illégal, afin d'essayer d'atténuer les déficits de ses programmes sociaux et augmenter ses chances d'être réélue pour un second mandat en octobre 2014. 

C'est l'ancien président de la chambre basse, Eduardo Cunha, du même parti que Michel Temer, qui a œuvré officiellement à la mise en accusation de madame Rousseff, mais Michel Temer était à la manœuvre, en coulisse, pour savonner la planche de sa rivale. En août 2016, Michel Temer profitait des dispositions constitutionnelles pour remplacer, sans être élu,  Madame Rousseff pendant le reste de son mandat jusqu'au 1er janvier 2019.

La présidente Rousseff voulait créer un âge minimum pour la retraite, augmenter les programmes sociaux. Les gens du parti de Temer souhaitent maintenant réduire les dépenses obligatoires en matière de santé et d'éducation. L'économiste Laura Carvalho, de l'université USP prévient : "Il y aura beaucoup de résistance des mouvements sociaux et des syndicats".

Aujourd'hui, c'est Temer lui-même qui est directement impliqué dans des scandales de corruption. Marcelo Odebrecht, PDG du plus grand conglomérat de construction de l'Amérique latine, condamné à 19 ans de prison pour corruption, a avoué qu'une partie des 48 millions de dollars dont il avait fait don aux campagnes de Mme Rousseff, comme de M. Temer, lors de l'élection présidentielle brésilienne de 2014, était illégale. C'est encore Joesley Batista, patron de JBS, la plus grande société de viande du monde, qui a donné à la police judiciaire les enregistrements d'une réunion où il a invité Michel Temer à faire des indiscrétions; Un de ses gestionnaires a donné directement un pot-de-vin de 150 000 $ à un assistant de M. Temer.

Mais Temer et ses alliés de l'establishment ferment maintenant la porte à la justice. Deltan Dallagnol, le procureur principal de l'opération « Lava Jato » (lavage de voiture), la campagne anti-corruption, se plaint dans un nouveau livre, que sa petite équipe, déjà confrontée aux cabinets d'avocats les plus puissants du pays, est constamment sous surveillance. La police fédérale a annoncé que les agents affectés au groupe de travail chargé d'enquêter sur les faits liés à l'Operação Lava Jato consacreront une partie de leur temps sur d'autres enquêtes. "Les politiciens veulent entraver nos enquêtes. Si nous ne sommes pas vigilants, ça se passera comme en Italie, où il est aujourd'hui plus difficile d'enquêter qu'avant l'opération Mani pulite (l'opération mains propres des années 90 en Italie) ", a déclaré le Procureur Carlos Fernando dos Santos Lima.

Temer, en parlementaire expérimenté, verse de grandes quantités de fonds gouvernementaux aux membres du Congrès qui votent contre sa mise en accusation. Le 13 juillet 2017, un comité de la Chambre a déjà refusé la proposition du représentant Sergio Zveiter de poursuivre Temer devant la Cour suprême pour corruption. Malgré la décision du Comité, les accusations portées contre le Président Temer seront portées devant la Chambre des Députés pour être votée au début du mois d'août.

C'est un tournant pour le Brésil. L'ombre de Pierre II plane sur ce gâchis. Peut-être le pays tiendra-t-il toutes ses promesses, ou ce sera le chaos.

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services