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Pays : International

Arabie Saoudite et Yémen, une fracture plurimillénaire

De Thomas Flichy de La Neuville, membre du Centre Roland Mousnier, Université de Paris IV – Sorbonne :

026032015091227000000CARTE-YEMEN"Le conflit yéménite actuel est généralement interprété comme une guerre par procuration entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Pourtant, les racines de cette opposition sont beaucoup plus anciennes et puisent dans une fracture plurimillénaire, interne à la péninsule arabique, entre la riche civilisation agricole des hauts plateaux yéménites et les espaces désertiques du nord, territoires des bédouins. Cette opposition frappa le voyageur allemand Carsten Niebuhr (1733-1815), qui écrivait en 1780 : « Entrecoupée par des déserts sablonneux et par de grandes chaînes de montagnes, l’Arabie présente d’un côté tout ce que la désolation a de plus affreux, et de l’autre tous les agréments des contrées les plus fertiles»[1]

Le Yémen, un haut-pays privilégié par les conditions naturelles

Le Yémen, qui se présente comme une région montagneuse de la zone aride, jouit d’un excellent climat en raison de l’altitude. Il bénéficie également  de sols volcaniques fertiles. Cette contrée est donc semblable à une île de verdure au milieu d’un océan de sable et de rocailles. Sur ses hauts plateaux, les conditions géographiques ont été admirablement exploitées au cours de l’histoire. Au VIe siècle avant J-C, l’Arabie du Sud avait atteint un haut degré de civilisation comme en témoignent son écriture et ses monuments. La population construisait des barrages et avait atteint un grand raffinement artistique dans la statuaire. Les habitants policés des royaumes du Sud avaient un genre de vie très différent des Bédouins du Nord. Cultivateurs et citadins, formant des Etats policés aux structures complexes, dotés de techniques perfectionnées, les Sudarabiques avaient rendu la vie au désert grâce à d’importants ouvrages d’art. A l’inverse, le reste de la péninsule arabique était livré au bédouinisme. Cent ans avant l’Islam, deux civilisations s’opposaient par conséquent : au sud, des fermiers et des commerçants, au nord des nomades qui avaient su exploiter les étonnantes possibilités du dromadaire. Ces deux populations étaient souvent en conflit, notamment en raison d’intérêts économiques divergents.  

Un rôle d’intermédiation commerciale entre l’Inde et la Méditerranée

Placé au carrefour des routes commerciales, à l’extrémité sud-ouest de l’Arabie, le Yemen saute par dessus les obstacles naturels pour jouer à l’intermédiaire entre l’Inde et la Méditerranée, deux mondes aux richesses multiples et complémentaires. Les anciens Yéménites détournèrent ainsi à leur profit, une partie d’un vaste courant d’échange qui comptait parmi les plus importants du monde antique. Amenés par bateau dans les ports de l’Arabie du Sud, les marchandises en provenance de l’Inde étaient dirigées par caravanes vers le golfe arabo-persique, la Babylonie, la Syrie et l’Egypte. De très gros bénéfices étaient ainsi réalisés, auxquels s’ajoutaient les gains résultant de l’exportation de produits locaux très recherchés : encens, myrrhe et aromates. Devenus riches et prospères, les anciens Yéménites travaillèrent à développer l’agriculture en exploitant au maximum la possibilité de leurs terres arables. C’est ainsi qu’ils créèrent de gigantesques terrasses aux flancs de leurs montagnes, maîtrisèrent l’eau, et rendirent la vie au désert, grâce à d’imposants ouvrages d’art. La célèbre digue de Ma’rib, qui défia le temps pendant plus de mille ans, témoigne à la fois du génie Yéménite en architecture et de leur préoccupation majeure de revivifier le désert. Ces Yéménites étaient fortunés lorsque leur souveraine, la fameuse Balqîs, reine de Saba rendit visite à Salomon, lui offrant selon la Bible, de l’or en énorme quantité, des pierres précieuses et des charges d’aromates.

Le déclin du royaume du Sud 

Au VIe siècle, la Perse, soucieuse de chasser les Abyssins du Yémen, avait contribué militairement à la lutte yéménite pour la libération nationale. Ainsi, à la veille de l’Islam, le Yémen n’était plus qu’une dépendance de la Perse, administré par des gouverneurs persans. Après avoir conquis le Yémen, une double ligne politique guida la politique de Mahomet : gagner à la cause de l’Islam la région la plus riche, la plus peuplée et la plus civilisée de l’Arabie, et s’assurer, d’autre part le contrôle d’une des artères principales du commerce international, par laquelle transitaient les produits de l’Inde. La conversion du Yémen à l’Islam ne fut ni spontanée, ni totalement désintéressée. Les Yéménites jouèrent toutefois un rôle majeur dans la conquête arabe : l’Arabie du Sud fut en effet le grand réservoir d’hommes dans lequel l’Islam puisa tout au long de son histoire. La conséquence est que le Yémen se vida progressivement de ses habitants. A la fin du IXe siècle cependant, le haut pays yéménite devint shiite. Cette conversion s’explique en partie par la volonté de se protéger des populations bédouines du nord qui pillaient régulièrement ses hauts plateaux.


[1] Niebuhr, Voyage de M. Niebuhr en Arabie et en autres pays de l’Orient, tome 2, Libraires associés, 1780, p. 3

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