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Pays : Arménie

72h avec Mgr Raphaël Minassian, en Arménie

72h avec Mgr Raphaël Minassian, en Arménie

Partie 1/3 de la série sur l’Eglise Arménienne Catholique réalisée par Antoine Bordier :

Il fait 15°C ce jeudi 11 février, place de la République, à Erevan, la capitale de ce petit pays, qui se situe dans le Caucase. Sur l’application GG, le UBER arménien, il est possible de commander un chauffeur en 3 mn. Direction Kanaker, un quartier nord d’Erevan. A cette heure de l’après-midi (il est 17h00), et, en raison d’un service de transport en commun insuffisant, le réseau routier est surchargé. Une demi-heure après, la voiture se gare devant l’entrée de l’Archevêché de l’Eglise catholique arménienne. Nous suivrons Mgr Minassian pendant 72 heures. Et, nous rencontrerons son prédécesseur, Mgr Nechan Karakéhéyan, juste avant qu’il ne décède. Reportage sous la forme d’une série en triptyque.

Mgr Raphaël Minassian parle le français couramment. Il est, comme la plupart du clergé, polyglotte. Il fait partie de la diaspora. Son archevêché passerait inaperçu, s’il n’y avait ce petit oratoire dans l’enceinte, où les fidèles viennent se recueillir et brûler un cierge devant trois peintures sacrées représentants la Vierge Marie et deux saints. Au-delà de l’Arménie, il est au service de la communauté catholique arménienne de toute l’Europe de l’est et de l’ex-URSS. Il est le berger de plus de 600 000 fidèles. Avec la pandémie, raconte-t-il, « j’ai dû arrêter tous mes déplacements depuis un an ». Dans son bureau, une magnifique peinture mariale, un autel où il célèbre sa Messe, des ornements liturgiques, des photos. Au-dessus du petit canapé une horloge circulaire en bois où sont sculptées les églises qu’il a faites construire depuis qu’il est devenu archevêque, en 2013. Ce 11 février, l’Eglise fête Notre-Dame de Lourdes, et, c’est, aussi, la fête de saint Vartan. Nous retrouverons Mgr le we suivant autour de quelques gâteaux locaux, d’un café arménien (à ne pas confondre avec le café turc). Il répondra à nos questions, lors d’une longue interview.

Les saints martyrs, le visage de l’Arménie

Saint Minascio (ou Miniat) est un roi d’Arménie mort en 251 en Italie. Il sert dans l’armée romaine. C’est dans le cadre de ses services qu’il se rend à Rome. Là, il refuse d’adorer les idoles. Et, il se convertit. Il devient, ensuite, ermite. Persécuté, il meurt à Florence. L’Arménie a été très généreuse en martyrs. En 451, Vartan Mamikonian est à la tête de l’armée arménienne. Lors d’une nouvelle bataille contre les Perses, il est martyrisé avec toute son armée. Mgr connaît bien la vie de ces martyrs qui ont formé l’âme de l’Arménie. Il indique que « Dieu a choisi le peuple juif pour préparer la venue de Son Fils. Puis, il a choisi le peuple arménien pour témoigner de Sa venue. Il a, aussi, choisi le peuple français pour témoigner et défendre le peuple de Dieu ». Il parle de son peuple, de sa persécution perpétuelle. En 301, l’Arménie devient le premier peuple à se convertir au christianisme, sous l’impulsion de saint Grégoire l’Illuminateur. L’Eglise arménienne faisait partie de l’Eglise universelle jusqu’en 451. A partir de cette année, elle est devenue autonome (autocéphale monophysite) et se dénomme : Eglise Apostolique Arménienne, ou Eglise Grégorienne. Son histoire est parsemée de vie de martyrs. Pour Mgr, « c’est un honneur d’appartenir à un peuple martyr. C’est un privilège de partager la Croix avec le Christ. Lors des persécutions, la première bataille que nous avons perdue est celle de Vartanank en 451. Mais nous avons gagné la guerre. Les Perses sont partis, et, nous sommes restés chrétiens. » S’il y a une date à retenir, c’est celle-là : 451.

Au creuset de sa famille victime du génocide

Mgr raconte son histoire familiale, parle du génocide, de son père, Pedros, orphelin dès l’âge de 5 ans, qui a dû fuir la barbarie turque. Ce génocide de 1915-1920 avait déjà commencé quelques années auparavant. En 1909, ont lieu les massacres d’Adana, dans l’empire Ottoman, l’ancienne Cilicie. Ces massacres s’orchestrent à la suite d’une contre-révolution qui tend à remettre au pouvoir le sultan déchu, Abdülhamid II. Ce-dernier avait été à l’origine des massacres de 1896, qui avait déjà fait plus de 200 000 morts du côté des arméniens. 13 ans plus tard, ils sont près de 30 000 à tomber lors de pogroms sanguinaires. C’est dans ce contexte de fin de règne de l’Empire Ottoman et de massacres, qu’en 1915, le génocide arménien est déclenché. Il est de plus grande ampleur et provoquera la mort d’1,5 million personnes. La famille de l’archevêque, qui vit en Turquie, n’y échappe pas.  « Mon père a été recueilli par les Salésiens de Turin. Avant le génocide, il vivait à Van, en Turquie. Il pensait avoir perdu toute sa famille. Mais, en 1943, en Syrie, il retrouve son frère Georges. » Son père aurait dû devenir salésien. Séminariste, il est envoyé par sa communauté à Jérusalem. Quand il retrouve son frère, ce-dernier lui propose de quitter les salésiens et de rencontrer celle qui deviendra son épouse, Rosa. « Mes parents se sont mariés en 1944 à Alep, en Syrie, en se faisant la promesse que leur premier enfant serait consacré à Dieu. Je suis né le 24 novembre 1946. A 12 ans, selon leurs vœux, je rentre au Petit-Séminaire des Arméniens Catholiques de Beyrouth. Je les revois, pour la première fois, en 1973. Je fais la connaissance de mes 3 petites sœurs que je ne connaissais pas. En tout, nous sommes 8. »

Une identité commune et deux églises

Mgr passe vite sur ses années d’études pour aborder un peu plus le sujet des deux poumons de l’Eglise qui font respirer l’âme arménienne. L’Arménie, petit pays de 29 000 km2, grande comme la Bretagne ou la Belgique, est composée entièrement de chrétiens. Sur 3 millions d’habitants, 90% sont apostoliques et 10% sont catholiques. Il y a, aussi, des protestants qui représentent moins de 1% de la population. « Cette division, explique-t-il, est liée à notre absence au Synode de Chalcédoine en 451. L’Eglise arménienne n’a pas pu y participer, en raison de la persécution des Perses (NDLR voir plus haut). Puis, elle a rejeté le synode suite à une mauvaise interprétation sur la Trinité. 20 ans plus tard, une partie de l’Eglise revient pour réparer cette division. Au final, nous avons la même foi, la même liturgie, les mêmes sacrements. Nous avons la même identité. Les apostoliques sont une Eglise qui ne dépend pas de Rome. L’Eglise Apostolique Arménienne est dirigée, actuellement, pas Sa Sainteté Karekin II. Et nous, nous dépendons de Rome. J’aime bien rappeler que nous avons une identité et une âme commune. Nous formons un seul corps avec deux poumons. Avec le pape François, nous parlons de continuité. »

Des papes en Arménie

Le pape François, après Jean-Paul II, est venu en Arménie du 24 au 26 juin 2016. Il a dénoncé le génocide. Avec Karekin II, il avait prononcé ces paroles qui en disent long sur cette identité : « Nous sommes spirituellement heureux de nous souvenir qu’en 2001, à l’occasion du 1700ème anniversaire de la proclamation du christianisme comme la religion de l’Arménie, saint Jean-Paul II a visité l’Arménie et a été témoin d’une nouvelle page dans les relations chaleureuses et fraternelles entre l’Église Apostolique Arménienne et l’Église Catholique. Nous sommes reconnaissants d’avoir eu la grâce d’être réunis lors de la liturgie solennelle dans la Basilique Saint Pierre à Rome le 12 avril 2015, où nous avons manifesté notre volonté de nous opposer à toute forme de discrimination et de violence, et où nous avons commémoré les victimes de ce dont la Déclaration Commune de sa Sainteté Jean-Paul II et de sa Sainteté Karekin II a parlé comme étant « l’extermination d’un million et demi de chrétiens arméniens, au cours de ce qui a traditionnellement été appelé le premier génocide du XXème siècle » (27 septembre 2001).Nous louons le Seigneur qu’aujourd’hui la foi chrétienne soit de nouveau une réalité vibrante en Arménie, et que l’Église Arménienne mène sa mission avec un esprit de collaboration fraternelle entre les Églises, en soutenant les fidèles dans la construction d’un monde de solidarité de justice et de paix. »

La famille et la France

L’âme arménienne est profondément marquée par la famille. La famille en Arménie pourrait être le cœur du pays. Plus de 30% de la population vivant dans une grande pauvreté (moins de 50 euros par mois), l’Arménie tient grâce à la famille. Ici, la famille reste sacrée. Vue de son archevêché, Mgr Minassian ne comprend pas ce qui se passe en France, « avec toutes ses lois qui facilitent l’avortement, l’euthanasie, le divorce, et, maintenant vous parlez de PMA et de GPA. La France a changé. Il y a une force de destruction contre la famille, contre la vie : nous en sommes nous-mêmes les responsables. Chez vous, les mariages ne sont pas assez préparés. Ce sont des mariages d’occasion. Chez nous, grâce à Dieu, il y a encore peu de divorces. Pour durer, il faut s’aimer, prier et faire des activités ensemble. » Mgr Minassian est devenu expert en préparation de mariage. Ordonné prêtre en 1973, il a vécu entre 1989 et 2004 en Californie : « J’y ai préparé des centaines de mariages. Et, ici, parfois on me rend visite, en me rappelant que c’est moi qui ai célébré leur mariage. Les époux se marient devant Dieu, et, devant les hommes. Ils mettent leurs deux mains dans la main de Dieu. Nous sommes faibles, et, nous tombons souvent. Mais, c’est Lui qui nous relève. Tous les jours, les époux doivent célébrer leur mariage, comme le prêtre qui célèbre la Messe. Tous les jours, ils doivent renouveler leur promesse, se redire oui, et, mettre leurs mains dans la main de Dieu. Ils doivent prier et aller à la Messe ensemble. C’est ça le mariage. » Mgr s’interrompt pour présenter un jeune volontaire de l’Oeuvre d’Orient, Simon, qui vient donner des cours de français aux jeunes du séminaire.

L’Arménie entre guerre et paix

Après la famille, nous évoquons la guerre dans le Haut-Karabakh. Ce conflit qui a duré 45 jours, et, qui a opposé l’Arménie en soutien de la République auto-proclamée de l’Artsakh, du Haut-Karabakh, attaquée par l’Azerbaïdjan, et son allié turc. Le visage ému et grave à la fois, lui qui s’occupait des pauvres, lorsqu’il était aux Etats-Unis, puis à Jérusalem (entre 2004 et 2011), et, maintenant, à Erevan, depuis 2011, a eu le cœur déchiré par cette nouvelle déflagration. Comme si l’Arménie n’avait pas assez souffert. Lui qui est né à Bethléem, dans la ville de David, et, du Roi des rois, en a vécu des guerres. La guerre civile du Liban l’a fortement marqué et endurci à la fois. En 2015, il parlait d’un nouveau « génocide pour les chrétiens du Moyen-Orient ». La guerre, il l’a connue au Liban où il a vécu entre 1973 et 1989. « Le génocide des chrétiens continue. Les médias disent que la guerre dans le Haut-Karabakh est une guerre politique, de territoires. Mais alors pourquoi massacrer à ce point les populations civiles, détruire les Eglises, et, nos vases sacrés ? Sous les yeux du monde entier, il y a eu des milliers de morts et des dizaines de milliers de déplacés qui sont partie en exode. Avec l’Oeuvre d’Orient nous aidons plusieurs centaines de familles. Nous avons organisé pendant le conflit de nombreuses veillées de prières. Nous gardons l’espoir de jours meilleurs. Nous devons construire la paix. Comme dans les familles, les couples en difficulté, nous devons construire et consolider la paix. Moi qui suis un Arménien de Jérusalem, la paix n’est possible qu’avec Dieu. Il faut Le prier sans cesse. C’est, ce que je fais depuis l’âge de 9 ans ». Le chapelet à la main, Mgr Raphaël Minassian quitte son bureau. Il passe devant sa chapelle, simple et belle à la fois. Sur l’autel se trouve l’évangéliaire, le calice et le ciboire. Le Saint Sacrifice peut être célébré. Dieu est présent. Il part dîner avec son prédécesseur Mgr Nechan Karakéhéyan, 88 ans, qui décèdera le lendemain, à l’aurore (à lire dans la partie 2/3 de notre série sur l’Eglise catholique arménienne).

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