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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Bonne fête, bienheureux Carlo Acutis

Bonne fête, bienheureux Carlo Acutis

Par Antoine Bordier :

Déjà un an ! C’était le 10 octobre 2020. Assise, la « cité sainte » du Poverello, de saint François, rayonnait de tous ses éclats. De toute l’Italie, de Londres, d’Espagne, de France, et, de Suisse, principalement, les parents, les amis, et, de nombreux pèlerins avaient fait le déplacement pour la béatification du jeune Carlo Acutis. Ce qui était marquant, surtout, c’était toute cette jeunesse présente sur le parvis de la Basilique Sainte-Marie-des-Anges, la veille. Deux jours après sa béatification, le 12 octobre, le bienheureux Carlo Acutis était fêté pour la première fois. Immersion dans la vie d’un saint.

Située au pied de la colline d’Assise, en contre-bas, la basilique attire les foules. Un millier de jeunes sont là, dans le quasi silence de la nuit qui étend lentement son manteau noir étoilé. Nous sommes le 9 octobre 2020. La façade de la Basilique Sainte-Marie-des-Anges est légèrement éclairée. Cachés derrière les immenses colonnades, d’autres jeunes s’affairent et règlent sur leur pupitre de commandes, leur table de mixage, et, leur moniteur, les différentes caméras, la sonorisation et l’éclairage. La veillée en l’honneur du futur bienheureux va bientôt commencer. A l’entrée, son effigie-kakémono le représente avec en arrière-plan un ostensoir. Et, l’eucharistie qu’il a tant adorée, donne le ton de la veillée. Elle se déroulera en trois temps : une biographie scénique jouée par une troupe d’amateurs, des danses et des morceaux musicaux suivront. Puis, ce sera le temps du témoignage, par un franciscain, et, enfin, un temps de prières et d’adoration.

A l’intérieur de la grande basilique règne le silence complet. Il n’y a pas de fidèles. Quelques franciscains déambulent. A la place du chœur de la basilique, se trouve la petite église de la Portioncule. Elle date du 6è siècle. Le futur saint François, Giovanni di Pietro Bernadone, la restaurera quelques années après sa conversion, vers l’an 1205. C’est là, qu’il aurait pris pleinement connaissance de sa vocation de missionnaire, et, qu’il aurait reçu la visite des anges. Ce qui dénote aux premiers abords, en s’approchant, c’est sa toute petite taille. Elle ne mesure que 7 mètres de longueur et 4 mètres de largeur. Sur sa façade ogivale, une fresque médiévale raconte la vie du Poverello. A l’intérieur, d’autres fresques entourent l’autel en bois précieux. La contemplation de ce petit édifice, véritable trésor artistique, mystique et religieux, est une bonne introduction, à la fois, à la veillée et à la vie du bienheureux.

Sur les pas de Carlo

Carlo Acutis est né à Londres, le 3 mai 1991, de parents italiens. C’est un enfant unique. Il ne connaîtra pas son frère et sa sœur, des jumeaux, qui naîtront après sa mort, survenue le 12 octobre 2006, à Milan. Une leucémie foudroyante l’a frappé et l’a emporté en 72 heures « sur l’autoroute du Ciel ». C’était sa propre expression, quand il parlait de l’eucharistie. Très tôt, le jeune Carlo bénéficie de grâces spéciales. Il a soif de Dieu, alors que ses parents s’en sont éloignés. Lors de sa Première Communion, en 1998, à l’âge de 7 ans, il tombe littéralement amoureux de la Messe et de l’eucharistie. L’évêque d’Assise, Mgr Domenico Sorrentino, l’a bien connu. C’est un ami de la famille. Il raconte :

« Il n’a jamais manqué une Messe de sa courte vie. Il voulait, aussi, se confesser tous les jours. C’est pour nous tous un exemple à suivre ».

Pour la plupart des jeunes, qui ont été touchés par cette petite vie qui démarre dans l’eucharistie quotidienne, l’étonnement est total. Lors de la veillée, Silini, une jeune fille d’une vingtaine d’années, témoigne que

« Carlo est vraiment un exemple qui parle à notre jeunesse. Il a vécu sa foi avec une maturité incroyable. Il était très concret, aussi. Il aimait l’adoration, certes, mais il aimait, également, danser, surfer sur les nouvelles technologies. Il est vraiment très moderne. »

De son côté, l’évêque confirme que

« Carlo était quelqu’un de simple. Je l’avais rencontré à Rome, avant sa maladie. Et, il était très simple. C’est son secret : sa simplicité, son sourire, sa passion pour Dieu, pour Jésus présent dans l’eucharistie. Carlo était un amoureux de la vie, de Dieu et des autres. »

« Le geek de Dieu »

La vie du petit Carlo est moderne, et, très connectée. Très jeune, il devient un as des nouvelles technologies, dont il se sert pour l’évangélisation. Par-dessus tout, que ce soit à Assise, ou, à Milan, son quotidien est marqué par sa vie d’écolier, la Messe, le chapelet et l’adoration. A l’âge de l’adolescence, il se rend compte que ses copains de l’école sont éloignés de Dieu. Pire, ils tombent dans des addictions, liées aux nouvelles technologies. Il choisit de les rejoindre sur les réseaux sociaux et de les évangéliser. Aujourd’hui, les réseaux sociaux lui renvoient l’ascenseur. De nombreuses pages se sont ouvertes sur Facebook pour lui rendre hommage, et, pour diffuser la bonne nouvelle de sa vie. Lors de la veillée, un jeune interprète son rôle. Il porte un pull rouge, qui ressemble à celui que portait Carlo sur l’une de ses photos qui a fait le tour du monde. Des danseurs font une chorégraphie. La veillée se termine par une adoration eucharistique. A l’intérieur de la Basilique Sainte-Marie-des-Anges, un frère franciscain, Andréas, redit la phrase que le Christ a adressé à saint François : « Va, François, répare mon Eglise, tu le vois, elle tombe en ruine. » Pour Mgr Sorrentino, « saint François et Carlo sont très proches. »

« O Carlo beato ! »

Ce samedi 10 octobre 2020, c’est le jour J. Le soleil a, lui-aussi, décidé d’honorer Carlo. A 16h30, il baigne de ses rayons lumineux l’esplanade de la Basilique supérieure de Saint-François. Les grands clercs et la croix sont en tête de la procession, qui s’avance aux sons des grandes orgues. Une vue à 180° vous permet d’admirer l’horizon. Les plaines verdoyantes, les collines alentours sont un hymne à la création. On comprend mieux celui que chantait le Poverello. Ici la nature, et, tout être vivant semblent être en harmonie avec le Ciel. Même la vieille pierre des édifices raconte l’histoire du saint, à travers les ruelles de la vieille ville. Elle commence à entonner celle du futur bienheureux. A l’intérieur de la Basilique, au premier banc à droite, les parents et les frère et sœur de Carlo ont pris place. La famille et les amis proches côtoient les autorités civile et militaire locales. Le cardinal Agostino Vallini, légat pontifical et représentant du Pape François, préside la cérémonie. Il est entouré d’une dizaine d’évêques. Sur les bas-côtés, des fresques murales racontent la vie de saint François.

Mgr Domenico Sorrentino s’avance vers le micro. Il demande officiellement que l’Eglise accueille, en son sein, le vénérable serviteur de Dieu Carlo Acutis, dans la communauté des bienheureux. Le cardinal accepte et lit la lettre du Pape François, datée du 10 septembre 2020. Le Pape souligne

« l’enthousiasme de la jeunesse, la culture de l’amitié avec le Seigneur Jésus, de Carlo Acutis, qui mettait l’Eucharistie, et, le témoignage par la charité, au centre de sa propre vie ».

Le Pape a voulu rappeler sobrement la vie christo-centrée du jeune Carlo. Après cette lecture, la cérémonie continue par la procession des reliques du bienheureux. Les parents de Carlo ont accepté d’offrir à l’Eglise le cœur même de leur fils. Dans le reliquaire simplement orné, de couleur or et rouge, on aperçoit la forme de son cœur bruni par le temps. L’émotion devient intense, les applaudissements fusent. Le cardinal étreint chaleureusement les parents, un par un. Tous se tournent alors vers le fond du chœur de la Basilique, pour assister au dévoilement du grand portrait de Carlo Acutis. L’assemblée entonne au même moment le chant « O Carlo beato ! ».

Carlo, un apôtre

Deux heures plus tard, la Messe se termine. Les parents de Carlo sont sollicités par les amis, et, les proches. Les journalistes, principalement italiens, ont déserté, pour la plupart, les lieux. Antonia Salzano Acutis, la maman de Carlo, est restée seule dans la basilique. Son mari, Andréa, part avec les jumeaux. Antonia ne semble pas fatiguée, malgré les semaines passées à préparer, avec toute une équipe, ce jour. Elle enlève son masque et répond à quelques questions. Elle sourit :

« Oui, vous pouvez le dire, maintenant, c’est officiel, Carlo est bienheureux. Je suis absolument heureuse, car c’est une confirmation de l’Eglise, et, du Pape. »

Elle s’assoit. Il ne reste plus qu’une poignée de personnes. Les 300 invités ont presque tous quitté la basilique, qui avait été partiellement détruite par le tremblement de terre de 1997. Elle a survécu. Carlo, lui, a été emporté par une terrible maladie. L’ensemble de la presse a parlé de ses « 6 mois » de leucémie qui l’ont foudroyé. Mais, comme Antonia l’explique, le calvaire de Carlo a été foudroyant. En quelques jours, le jeune homme de 15 ans a été emporté.

« Oui, c’était très fulgurant. On pensait que Carlo avait une simple grippe. Et, finalement, il s’agissait d’une leucémie. Il est mort, très rapidement, 3 ou 4 jours après. On a parlé de 6 mois, mais il s’agissait de 6 jours. »

Antonia parle de sa foi et de son enfance. Elle parle de sa nouvelle vie, de Dieu. Son fils y a pris une part indéniable, comme si les rôles avaient été inversés. Comme si Carlo était devenu l’éducateur, le transmetteur de la foi à ses parents.

« Quand j’étais jeune fille, je ne pratiquais plus. J’ai commencé mon parcours vers 1994. Carlo est né en 1991. Il m’a inspiré. Normalement, c’est la famille, ce sont les parents qui transmettent la foi. Carlo, avec toutes ses questions, avec sa vie de prières, m’a transmis la foi. Il a aidé, aussi, beaucoup de personnes, beaucoup de jeunes, des prêtres et des séminaristes à cheminer, et, à pratiquer ».

Les miracles eucharistiques

Antonia parle de sa vie de famille.

« Nous vivons maintenant entre Milan et Assise. Depuis la mort de Carlo en 2006 notre vie a changé. Nous prions beaucoup plus en famille. Carlo nous dynamise dans notre vie de tous les jours. D’autant plus que, dès sa mort, des miracles ont eu lieu. Beaucoup de personnes lui demandent son intercession. Quelque part, c’est normal. Il fait du bien à tout le monde. En 2010, nous avons eu la grâce d’avoir des jumeaux, Francesca et Michael. Ils sont blonds, comme leur papa. »

Antonia évoque les miracles eucharistiques, le site internet qui leur est dédié et les expositions qui ont lieu dans le monde entier sur le sujet. Carlo était vraiment amoureux de l’eucharistie. Alors que la plupart des jeunes adolescents passent leur temps sur les écrans, comment celui que l’on surnomme communément le « geek de Dieu » a-t-il pu se lancer dans une telle aventure et réaliser une exposition internationale, avec plus de 100 panneaux réalisés sur des miracles eucharistiques recensés dans le monde entier ? « Il avait 11 onze ans, raconte sa maman, quand il a eu cette idée d’exposition. » Qui à 11 ans pense organiser une telle exposition ? Carlo est tombé amoureux de l’eucharistie. Comme il le racontait lui-même : « Mon secret, c’est d’avoir un contact quotidien avec Jésus ». Carlo est un génie de la grâce. A l’âge de 11 ans, donc, il pense réaliser une exposition sur l’eucharistie. A l’âge de 12 ans, il devient catéchiste. Il fait partie des plus jeunes catéchistes d’Italie. A 13 ans, son objectif n’est pas d’être le plus performant, le premier, de sa classe, même s’il est, effectivement, brillant, et, qu’il accomplit sérieusement son devoir de jeune collégien. Son objectif, c’est Jésus.

Le miracle eucharistique ?

Pour saint Thomas d’Aquin, « C’est là ta puissance, Seigneur, qui seule opère de grandes choses. C’est Toi qui as institué et confié à tes disciples ce sacrement où tout est miracle. » Pour saint Jean-Paul II, dans sa lettre encyclique ‶ Ecclesia de Eucharistia ″, parue en avril 2003 :

« L ‘Église vit de l’Eucharistie. Cette vérité n’exprime pas seulement une expérience quotidienne de foi, mais elle comporte en synthèse le cœur du mystère de l’Église. Dans la joie, elle fait l’expérience, sous de multiples formes, de la continuelle réalisation de la promesse : ‶ Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ″ (Mt 28, 20).

Mais, dans l’Eucharistie, par la transformation du pain et du vin en corps et sang du Seigneur, elle jouit de cette présence avec une intensité unique. Depuis que, à la Pentecôte, l’Église, peuple de la Nouvelle Alliance, a commencé son pèlerinage vers la patrie céleste, le divin Sacrement a continué à marquer ses journées, les remplissant d’espérance confiante. À juste titre, le Concile Vatican II a proclamé que le Sacrifice eucharistique est ‶ source et sommet de toute la vie chrétienne ″. La très sainte Eucharistie contient en effet l’ensemble des biens spirituels de l’Église, à savoir le Christ lui-même, notre Pâque, le pain vivant, qui par sa chair, vivifiée par l’Esprit Saint et vivifiante, procure la vie aux hommes. C’est pourquoi l’Église a le regard constamment fixé sur son Seigneur, présent dans le Sacrement de l’autel, dans lequel elle découvre la pleine manifestation de son immense amour. »

Carlo a été touché par le miracle eucharistique de Lanciano. Au début du 8è siècle, dans l’église saint Legonziano, un moine basilien célèbre la Messe. Il doute depuis quelques temps de la présence réelle. Après la consécration, il voit que l’hostie est en train de brunir. Il voit de la chair se former. Il regarde, aussi, le calice et constate que le vin est devenu du sang. Les fidèles qui assistent à la Messe l’ont, également, constaté et en témoignent. Ce miracle eucharistique aurait pu tomber dans l’oubli, surtout après que le parchemin de l’époque ait disparu. Mais les reliques, elles, furent toujours conservées. En 1970, sous l’impulsion de l’archevêque de Lanciano, Mgr Perantoni, elles sont remises en lumière. Elles sont analysées par un laboratoire indépendant. Les résultats sont étonnants : le sang et la chair des espèces transformées portent le même groupe sanguin AB que celui du Saint-Suaire. Le sang est dit « frais », non-altéré, comme s’il avait été prélevé sur une personne vivante.

En marche vers la canonisation

Le 14 novembre 2019, la Congrégation pour la cause des saints reconnaissait le premier miracle dû à l’intercession du jeune Carlo. Le vénérable de 2018 a été reconnu bienheureux en 2020. Pour être canonisé, il reste à documenter un deuxième miracle, qui serait en cours de reconnaissance.

20 ans après le bienheureux Pier Giorgio Frassati, Carlo Acutis est devenu un exemple à suivre pour sa génération. Le 16 juin 1998, il écrivait : « Être toujours uni à Jésus, tel est le but de ma vie ».  Ce désir de recevoir tous les jours de sa vie « le pain du Ciel » creuse encore plus en lui le désir de Le connaître.

Par la suite, et chaque jour, il ne manqua jamais un seul rendez-vous avec la Messe, le rosaire et l’adoration eucharistique, convaincu qu’en « se tenant en face de Jésus-Eucharistie, on devient des saints ». Il était aussi très proche de Fatima, et, des voyants, Lucie, Jacinthe et Francesco. Il avait étudié les apparitions de la Vierge Marie, et, Son Secret. Sur son ordinateur, il avait gravé les paroles de Jacinthe : « Si les hommes savaient ce qu’est l’éternité, ils feraient tout pour changer de vie ». Carlo avait soif du Ciel. Avant de se lancer dans l’aventure de son exposition sur les miracles eucharistiques, il avait écrit : « L’Eucharistie, c’est mon autoroute pour aller au Ciel ! » Enfin, il aimait particulièrement le miracle du soleil, celui qui s’est produit le 13 octobre 1917, à Fatima, devant une foule de 70 000 personnes croyantes et incroyantes. C’est pour cela qu’il priait chaque jour son chapelet.

Reportage réalisé par Antoine Bordier, auteur, consultant et journaliste

Copyright photos A. Bordier et Famille Acutis

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