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Liberté d'expression

Comprendre l’objection de conscience

Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), membre du Panel d’experts de l’OSCE sur la liberté de religion ou de conviction, évoque dans La Nef l’objection de conscience. Extrait :

Unknown-24"[…] Quelles sont ces clefs de compréhension qui éclairent le plus la problématique de l’objection de conscience ?

Trois clefs m’ont permis de comprendre l’objection.

La première, soulignée par saint Thomas d’Aquin, réside dans la différence qui existe – et que l’on retrouve dans les Dix Commandements – entre les préceptes affirmatifs (ou positifs) et les préceptes négatifs, c’est-à-dire entre l’obligation positive de faire le bien, qui oblige semper sed non ad semper, et l’obligation négative de ne pas faire le mal, qui oblige semper et ad semper. Cette différence fait ressortir la dissymétrie entre le bien et le mal, puisque faire le bien est une question de proportion, tandis qu’éviter le mal est une question de principe. Il en résulte qu’il est plus grave de contraindre une personne à commettre un mal que de l’empêcher d’accomplir un bien, car obliger une personne à faire le mal n’affecte pas la réalisation de sa conviction, mais sa conviction elle-même. Un bien peut être réalisé partiellement, mais un mal est toujours total, même s’il peut être réduit.

Cette distinction permet de circonscrire l’objection de conscience à la seule situation où une personne est contrainte d’accomplir un acte qu’elle juge mauvais ou est sanctionnée en raison de son refus de l’accomplir. À l’inverse, le cas où les autorités interdisent à une personne de réaliser tout ou partie d’un bien (le cas d’Antigone) relève du régime ordinaire de la limitation de la manifestation des convictions.

La seconde clef de compréhension réside dans la distinction entre la foi et la raison, Fides et Ratio, entre religion et morale, et par suite entre les objections, selon qu’elles sont fondées sur une conviction religieuse ou morale. Si une objection, qu’elle soit morale ou religieuse, constitue toujours une objection de conscience, car nous n’avons qu’une conscience, la différence entre objection morale et religieuse consiste en ce que la première peut prétendre être objectivement juste : sa revendication porte sur la justice. À l’inverse, une objection religieuse ne peut prétendre être juste en soi, et sa revendication porte alors sur la liberté de la personne de se conformer à ses convictions religieuses. Certes, les autorités publiques doivent, autant que possible, tolérer cette liberté religieuse. Toutefois, si le refus opposé à une objection religieuse peut être une violence, il n’en est pas pour autant nécessairement une injustice. Différemment, face à une véritable objection morale, les autorités ne peuvent la méconnaître sans commettre une injustice et une violence. La difficulté consiste bien sûr à reconnaître une véritable objection morale : l’étude dégage des critères à cette fin.

La troisième clef de compréhension porte sur l’existence d’un double niveau de moralité dans les sociétés libérales, lesquelles se caractérisent par l’affirmation de la tolérance, c’est-à-dire par l’illégitimité de tout jugement moral ad extra selon laquelle la moralité d’un acte individuel ne pourrait être jugée que par l’intéressé lui-même, et non par la société, ni par les autres individus. 

Il en résulte une différenciation entre une moralité publique et privée conduisant la société à dépénaliser des pratiques « immorales » privées et les individus à tolérer socialement des pratiques qu’ils réprouvent à « titre privé ». Or, si cette tolérance est indolore pour la majorité des citoyens, elle ne l’est pas pour la minorité concernée directement par la réalisation de la pratique en cause ; car, pour prendre un exemple concret, c’est une chose de tolérer l’euthanasie, c’en est une autre de devoir la pratiquer soi-même. S’il est possible de faire coexister deux moralités au sein de la société, c’est impossible au sein d’une même personne. Ainsi, la « liberté » que la société libérale accorde aux individus à l’égard de pratiques moralement débattues ne peut être équitable que si elle garantit à ceux qui les réprouvent le droit de ne pas être contraint d’y concourir. Il est particulièrement injuste d’exiger d’une personne, au nom de la tolérance, qu’elle consente à la légalisation d’une pratique, puis de se montrer intolérant à son encontre, une fois la pratique légalisée, en la contraignant d’y participer. C’est néanmoins la tendance spontanée de toute société, qui demeure mue par la recherche d’unité, même si elle dit avoir renoncé à celle de vérité. Mais l’unité sans la vérité est une violence."

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